« J’ai toujours ressenti un profond plaisir à vivre ces instants où l’on est si proche de ce qui nous entoure que l’on est loin de tout, où l’on vit si intensément les choses que plus rien n’existe... ». Encordé mais libre, Patrick Berhault.

Terre d’alpinisme et d’escalade, la Bérarde n’offre pas pléthore de grandes et longues balades aux randonneurs. Situé au cœur du Massif des Écrins, ce charmant petit village est le point de départ de bons nombres de courses en montagne. Les randonneurs n’auront comme but que la montée en Refuge contrairement aux grimpeurs qui continueront, eux, vers le sommet ! 

Bien consciente de la particularité de cette vallée, j’y suis allée dans le but de me remplir les yeux de ces magnifiques sommets ayant accueillis bon nombre de grands noms de l’Alpinisme, ainsi que mes aïeuls.

Terre de souvenir familial, c’est dans leurs empreintes que je m’apprête à marcher, les imaginant grimper sur l’une de ces nombreuses parois.

Souvenir d’une époque que je n’ai pas connue mais dont les moments évoqués par mes grands-parents me reviennent en tête. Leur vie passée continue d’exister à chacune de mes foulées. 

Ce bref séjour sera mon pèlerinage. Ma façon de renouer avec mes origines et les personnes m’ayant transmis cette merveilleuse passion de la montagne. Un hymne à mon enfance, bercée par les histoires alpines.

Par procuration, dans un coin de ma tête, je les remmène sur leur sentier, redécouvrir les pierres qu’ils ont laissé.

La Meije, Le Pilatte, la Dibona, la Maye, Ailefroide, Pic Coolidge…tant de noms familiers qui résonnent en moi mais dont l’image m’est, pour la plupart d’entre eux, inconnue. C’est avec une impatience extrême que je me rends dans ce fantastique paradis.

Accompagnée de mon frère Robin et d’une amie (Ana), je prépare un petit itinéraire dans ce coin. Adepte de longue distance, c’est pas ici que je trouverai un parcours à la hauteur de mes attentes. Mais c’est en ce lieu que je comblerai mon appétence visuelle.

Le but premier est de passer une nuit ensemble en Refuge, reste plus qu’à imaginer le parcours. Rien de difficile là-dedans, y’a qu’un chemin !

On réserve au Refuge de la Pilatte pour la nuit et on prévoit de partir en fin de matinée. La distance à parcourir est courte. On s’y rendra en courottant ! Encore plus rapide ! Pas besoin de décoller à l’aube.

Nous sommes le 21 Août 2019. 11 coups de cloches viennent de sonner à l’Eglise. Les sacs sont sur le dos, légers comme des plumes. On a besoin de rien, tout est au Refuge !

Le départ est donné au cœur de la Bérarde (1730m). Nous passons au-dessus d’un petit pont pour atteindre la rive gauche de Vénéon. Le village est derrière nous, la vallée nous accueille chaleureusement et dévoile ces magnifiques couleurs estivales.

La Bérarde

La verdure subsiste encore à cette altitude. Le charme dégagé par cette vallée empli instantanément mon âme d’un agréable sentiment de plénitude. Pas besoin de parole ou d’argumentation pour vanter la beauté de ce lieu. Les images suffisent.

Nous progressons sur un petit sentier surplombant le Vénéon. Doucement, le chemin s’élève et gagne en altitude. De l’autre côté de la rive, nous apercevons l’itinéraire de retour que nous emprunterons demain.

Brièvement, la sente vire au Sud-Ouest pour s’engouffrer dans une vallée voisine, la vallée du Chardon. Devant nous se dresse le Glacier du Chardon. La flore y disparaît, laissant tout l’espace à la moraine. Le passage dans cette vallée est bref. Très vite, nous reprenons le Sud-Est.

Nous revoilà le long du Vénéon. La flore refait sa douce apparition. Sa longue végétation empiète sur le sentier et caresse nos mollets. Un peu de douceur dans ce monde de pierre.

Nous passons au pied de la Tête du Chéret, le chemin longe la courbe de sa base. Une fois cette Tête derrière nous, on plonge plein Sud. Mais ça monte toujours.

La végétation a totalement et définitivement disparu, remplacée par la moraine, vestige de l’ancienne immensité du Glacier de la Pilatte. Avec les années, celui-ci a considérablement reculé, diminuant abondamment son volume. Sa belle couleur glaciaire ainsi que sa grandeur n’existent plus que sur les cartes postales.

La pente dont l’inclinaison était jusque-là très régulière et raisonnable prend une autre tournure. Le degré d’intensité change et se corse rapidement. Le terrain se trouve également recouvert de petits cailloux propices à l’instabilité de l’appui du pied. Qu’importe, ce freinage d’allure prolonge le temps passé dans ce paradis terrestre.

Nous sommes arrivés, après une rapide bataille contre la côte, au Refuge de la Pilatte (2577m). La vue est magnifiquement dégagée sur le Glacier éponyme, les Bans, Ailefroide, les Écrins…. Derrière, nous dominons la vallée que nous venons de traverser. Belle récompense.

C’est ici que les voies pédestres s’effacent et laissent place à un niveau supérieur, celui des grimpeurs, des alpinistes. Point de départ de nombreuses courses, le Refuge est bien confortable pour s’y reposer et observer ses objectifs sommitaux.

C’est sur une fabuleuse terrasse morainique que trône ce grand refuge, équipé de plusieurs dortoirs ainsi que d’espaces détentes : grande salle commune, table de ping-pong, tables extérieures et terrain de pétanque. Qui n’a jamais rêvé de faire un carreau à 2600m d’altitude en face d’un glacier ?

En partant tôt, nous arrivons tôt. Il nous a fallu un peu moins de 3 heures pour parcourir les 14 kilomètres et 1 000m de dénivelé positif qui nous séparaient du refuge.

Il est 14 heure quand nous nous étalons dehors, sur une table, picorant les quelques vivres emportées et sirotant un succulent jus de pommes chaud aux épices concocté par la gardienne.

Le soleil réchauffe nos dos humides. Avec Robin, nous succombons à la tentation trop forte de faire une partie de boules sous le regard des poules du refuge. Comme toujours, je perds…mais sans démériter ! En nous attendant, Ana dévore les lectures de la bibliothèque, le livre d’or, les topos…

L’après-midi étant belle et nos corps en demande d’activité, nous décidons de grimper un peu au-dessus du Refuge en direction du Mont Gioberney (3352m). Grimper est un grand mot bien sûr, mais pour des traileurs/randonneurs comme nous, mettre les mains pour avancer prend tout de suite une autre dimension au sein de notre esprit. Très vite, nous nous retrouvons dans un océan de rochers, à avancer de cairn en cairn. La progression est lente mais les pas sont surs.

Le vent se lève légèrement, la fraîcheur de la fin de journée refroidit nos mollets. Nous mettons nos coupes-vents et reprenons la direction du Refuge.

Nous nous retrouvons autour d’une table à l’intérieur. Robin a dégoté un mille bornes. Génial !

L’heure du repas sonne. Il est 19 heure. Nous dînons à côté d’autres randonneurs. Le gueuleton est bon. Simple mais il remplit le ventre, c’est le but.

Après le repas, nous lisons tranquillement avant d’aller rapidement nous coucher dans notre dortoir, avec quelques autres randonneurs.

Les ronflements de Robin berceront notre nuit jusqu’au lever du jour. La vie en Refuge, les nuits en dortoir, c’est ça. Subir l’autre ! Savoir résister au désir de l’étouffer !

Lever de Soleil sur la Pilatte

Il est 7 heure. Avec Ana, nous sommes réveillées depuis un bout de temps, allez savoir pourquoi !

Le petit déjeuner n’est servi qu’à 7h30. On s’installe donc autour d’un scrabble. Première fois que j’y joue réellement, les mots sortis sont dignes d’un niveau de primaire. Je suis sauvée par le bruit des tasses apportées par la gardienne pour le petit déjeuner. Ni une ni deux, on troque nos lettres pour des denrées. Robin nous a rejoint. En forme et bien reposé.

A 8h30, nous sommes sur le départ. On rentre à la Bérarde.

Avec sagesse et modération, nous entamons la désascension du mur final d’hier. En douceur pour échauffer les muscles et éviter une blessure idiote.

Le terrain devient rapidement propice au trottinage. Nos corps se réchauffent. La vallée peine à sortir de l’ombre et à capter les rayons de soleil cachés par le voile nuageux.

Nous passons au-dessus du Vénéon par un charmant petit pont.

Le pont !

Nous découvrons la rive droite, aperçue la veille lors de la montée. La végétation y est rapidement plus dense. Nous choisissons de rallonger l’itinéraire de retour, histoire de ne pas faire uniquement de la descente. On fait donc un crochet plein Est vers le Refuge de Temple Écrins (2390m).

Un bon raidillon, riche en lacets nous porte jusqu’en haut. L’effort et la sueur également. Avec Robin, on choisit un bon tempo pour honorer cet escalier.

Le cadre dans lequel est niché ce refuge est bien différent de celui de la Pilatte. Contrairement à la moraine sur lequel reposait le précédent, celui-ci dort dans un bel alpage. Derrière lui trônent le Pic Coolidge, la Barre des Écrins, le Pic de la Temple… Et face à lui, on aperçoit le Glacier de la Pilatte, la Pointe du Sélé, les Bans, la Pointe Richardson, la Pointe du Vallon des Etages, la Cime de Clot Chatel…

Le temps est couvert, on ne s’attarde pas trop ici même si la vue est royale. Le rhume du lendemain serait dommage.

Nous redescendons par le même chemin et regagnons le Nord. On lâche les chevaux dans cette descente douce, propice à une allure frénétique. Mais réfléchie. De nombreuses pierres nous tendent des pièges.

Nous passons devant un autre refuge, celui du Carrelet, reposant sur le Plan du même nom, en bord de rive du Vénéon.

La Bérarde se dessine au loin. Pas à pas, nous nous en rapprochons. Rapidement nous y pénétrons, dépassant la Combe du Pré, Pierre Chamoissière et le Ravin de Landin.

Midi n’a pas encore sonné, nous passons dans le bourg, faisant un stop dans la petite épicerie pour acheter de succulent crottins de chèvre et du pain. La journée n’est pas finie. Elle ne fait que commencer. Se lever tôt, c’est pouvoir avoir plusieurs journées dans une seule. La matin et l’après-midi. Même le soir quand la forme est à son apogée.

On a besoin d’avoir du carburant pour la suite. Même si nos chemins se séparent pour cette après-midi, nos corps s’apprêtent à suer.

Après ce bref parcours de 14km et 410m de dénivelé positif, Ana et Robin prennent la route de l’Alpe d’Huez pour en grimper ses 21 lacets à vélo. Pour moi, attachée à cette vallée et à l’irrésistible envie d’en découvrir les moindres recoins, je m’élance dans l’ascension du chemin menant au pied de la Dibona. Cette aiguille magique.

Le Vénéon coulant vers la Bérarde – Tête du Rouget au loin (photo de la 1ère journée)

 

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