Le jour J est arrivé. Jour que j’attends maintenant depuis le 1er janvier 2019. Date à laquelle je me suis inscrite.
Le rêve est sur le point de se réaliser : participer à un ultra ! Mais pas n’importe lequel. Celui du Beaufortain. Celui de mon jardin ! 105km pour presque 7000m de dénivelé positif.
J’arrive la veille au soir (vendredi 19 juillet) à Queige pour récupérer mon dossard, le numéro 1 ! Manon la favorite héhé ! Non plutôt Manon la plus jeune femme à participer ! Les numéros de dossard sont attribués du plus jeune au plus vieux. Ou est le numéro 500 ??
Une fois le dossard, le t-shirt et les petits goodies récupérés, on assiste au briefing animé par chef François. A la fin, vers 19h, on se sépare pour aller manger et surtout nous coucher tôt. Le départ est donné à 4h00 le lendemain matin.
Je rejoins donc ma voiture garée juste à côté de l’aire de départ pour manger mon sandwich jambon/abondance. Et en dessert mesdames messieurs : mon gâteau pomme chocolat maison bien dense cuit la veille. 20h30 sonne, je m’allonge dans le coffre, sur mon matelas, laisse toutes les portes ouvertes et tente de me reposer et pourquoi pas de m’endormir. Ca ne tarde pas trop, je ferme les yeux une heure après.
DRIIINNNGGG !!!!! Mais j’ai à peine fermé les yeux cinq minutes !! Une horrible alarme me réveille à deux heure du matin… Déjà ?? Remarque, j’suis plutôt bien reposée et n’ai pas envie de me rendormir. Je pense que l’adrénaline commence déjà à envahir mon corps. Des bénévoles sont déjà présents. Je n’ai pas besoin de m’habiller, déjà fait la veille. O.R.G.A.N.I.S.A.T.I.O.N !
Place au petit déjeuner ! Raison pour laquelle je me suis levée si tôt ! J’ai besoin d’avoir un temps de digestion assez long avant le départ. Et que le café fasse effet… Ma drogue d’avant course qui me permet d’aller plus vite ! Je me coupe donc un bon morceau de pain frais d’hier que je tartine de crème de châtaigne. Bonheur gustatif ! Mais c’est aussi un bon carburant ! J’accompagne ce festin de ma petite briquette de lait, ma banane pour avoir la pêche et d’une part de mon gâteau fait maison. Je me force un peu, je n’ai pas très faim, mais le poids sur l’estomac passera d’ici 2h.
Je sors de mon coffre spacieux pour aller chercher ma potion caféinée auprès des bénévoles. Avant d’y parvenir, j’en croise deux attitrés aux placements des voitures. On discute brièvement de la pluie et du beau temps : « Pour savoir s’il va y avoir de l’orage, faut connaitre les dates de l’UTB haha ».
Je les quitte en quête de mon café. De loin je les entends discuter avec des arrivants et répéter exactement les mêmes phrases…. On ne se lasse pas !
Je me retrouve donc sous le préau, à mendier un café aux bénévoles déjà très actifs, très occupés, mais d’excellente humeur. Bon c’est pas le meilleur café que j’ai bu mais c’est chaud et ça fait du bien.
Il est 2h30, je retourne à ma voiture avec ma tasse pour finaliser ma préparation et m’assurer de la présence de la totalité de mon équipement. 2h45, tout est bon, les chaussures sont mises, le sac sur le dos, les bâtons dans la main, le dossard épinglé, le café bu. Je ferme la voiture et retourne sous le préau, quémander un autre café.
Je ne suis plus seule maintenant. Bon nombre d’autres fous sont arrivés et profitent du petit déjeuner. Personnellement, je m’assois sur un banc et regarde dans le vide, à me demander ce que je fais là. Symptôme et idées courantes d’avant course !
Et puis d’un coup qui c’est t’y pas que j’vois débarquer ? Le frérot Roro avec ses deux cannes (#entorse) puis mes parents ! Il était prévu que je les croise au bout du 6e kilomètre mais la route n’était finalement pas terrible pour y accéder. J’ai donc une bonne dose de motivation qui m’envahit, me sortant de mes rêveries et désirs de retourner à la maison pour dormir et arrêter toutes ces conneries !
Il est environ 3h15 quand l’effet du café se fait (ENFIN!) ressentir ! Pause toilettes je reviens !
3h30 : j’y retourne !
3h45, j’embrasse la famille et me rends, tout en légèreté, dans le sas de départ. Ca y est, je ne peux plus faire demi-tour. Nous sommes tous dans l’enclos, à guetter le coup de feu du départ. Serrés comme des moutons. On se tient chaud, on rigole, et on s’apprête à savourer chaque instant de cette magnifique aventure qui va débuter dans si peu de temps.
Il est presque 4h. Le speaker termine son discours avant de lancer le décompte. 5…4…3…2…1 C’EST PARTI !!!!
L’organisation a fourni aux spectateurs des tubes fluorescents ce qui rend l’ambiance mythique. Nous commençons par le « Tour pour rien », autour du « lac » de la base de loisir de Queige afin de proposer une magnifique pluie de frontales au public. Lors de ce micro-tour, je suis complétement désorientée ! Perdue entre le haut et le bas, la droite et la gauche. Je trébuche sur des bosses d’herbe et ne tourne pas quand il le faut ! Beau début de course Manon ! Comprends rien ! Mais c’est bon, le tour est fini et on entame ces 105km et presque 7000d+ ! Courage compagnons de galère. Ca va être long, ça va être difficile, mais ça va être un moment magique !
Km 0 -> 10.3 (1526m de d+ cumulé) : 1er ravito à l’Aulp de Tours (1981m).
Altitude de départ : 530m.
C’est assez roulant au début, l’occasion de nous chauffer les cuisseaux en douceur ! Le troupeau s’étale bien sur ce chemin large. Il n’y a pas trop d’obstacles. Cool quand il fait nuit ! Rapidement, on quitte le chemin roulant pour s’engager dans un single bien montant. En effet, on débute par une belle ascension de 1800d+ sur 13km ! Ca fait déjà une belle partie du dénivelé !
Je m’accroche à un petit groupe de bonshommes qui m’ont l’air d’avoir physiquement déjà fait ce genre de truc. En plus, c’est pas pour dire mais ils ont surement passé la quarantaine (voire la cinquantaine…), donc ils ont de l’expérience sous la chaussure. Tu fais le bon choix Manon ! Le rythme me convient, je ne m’épuise pas. Je pense qu’il est tout de même un peu rapide peut-être pour moi dans le contexte d’un ultra mais je me sens tellement bien que je refuse d’aller moins vite.
En plus, dans la nuit, le relief est moins bien perçu et donc la difficulté appréciée différemment. Pour ma part, les ascensions deviennent beaucoup plus faciles.
L’organisation nous avait mis aussi un peu la pression la veille, il faut le dire ! On avait peur d’arriver juste au premier contrôle ! Alors dès que le single croisait la route goudronnée, on relançait jusqu’au prochain chemin grimpant.
Il est 5h30, le soleil commence à se lever. J’ose l’extinction de ma frontale (beh j’économise pour cette nuit !) et profite de la lumière naturelle qui commence à s’imposer. Je trébuche pas plus sur les cailloux donc c’est bon pas besoin de rallumer ! J’ai laissé tombé mes vieux guides il y a une petite demi heure pour avancer un poil plus vite et suivre des jeunes d’une trentaine d’année ainsi qu’une fille qui participe en relais !
Au bout d’1h54, j’arrive au premier ravitaillement (1981m). Je suis 111e et 6e femme. La forme est là. La montée s’est très bien déroulée sans douleur ni essoufflement. J’ai réussi à penser à boire régulièrement. Je bois un verre de coca et pique du pain d’épice.
Km 10.3 -> 24.1 (2371m de d+ cumulé) : 2e ravito aux Grangettes (1900m).
Je ne m’attarde pas beaucoup au ravitaillement, à peine 2min.
Je m’accroche à un nouveau vieux ! On discute un peu sur nos parcours personnels. J’écoute ses précieux conseils. Voyant son palmarès, ça peut pas être mauvais !
J’ai du mal à le suivre dans l’ascension menant au col des Lacs (2245m). C’est pas grave, je garde mon rythme. Je vais quand même pas me cramer au 11e kilomètre. De plus, cette ascension est magique, je veux en profiter un maximum. Le lever de soleil est d’un rose magnifique. La vue sur la vallée est splendide. Quelle chance. Tous les sommets sont visibles. Les couleurs sont exceptionnelles. De quoi booster le moral ! Les yeux pétillants, je me dirige vers le col et l’atteins 40min plus tard.
« AHHHH », un peu de descente ! Je ne cours pas après mais ce petit changement de rythme ne va pas me faire de mal ! Le début est assez roulant et pousserait à envoyer un peu mais je me reprends. « Pas maintenant Manon, c’est un coup à te flinguer les jambes ».
J’aborde donc tranquillement et sereinement cette descente de deux kilomètres et 400d-.
Pas de casse à la descente. Place à la remontée roulante et brève ou j’alterne marche et course lente jusqu’au col de la Bathie (1889m). Le soleil se pointe. On se retrouve à l’avoir en pleine face. J’en pleure ! Ca pique. Je sors vite mes lunettes de soleil avant de perdre la vue.
Après le Col, c’est direction le Refuge des Arolles (2000m). Un petit coup de cul cette montée ! Mais elle a l’avantage d’être brève. Même pas le temps d’avoir mal aux jambes. On se retrouve à l’ombre du soleil, dans un magnifique cirque.
Un mec me demande où est la Pierra Menta. Ouhlala, patience bonhomme, tu la verras dans 15 bornes !
C’est au kilomètre 20 que mon ventre me dit avoir un peu faim. Je ne néglige pas cette information et m’en veux un peu d’avoir attendu cette désagréable sensation pour manger. J’ouvre une barre. Une nouveauté. Goût Cookies Cream. C’est pas mauvais ! Mais si j’avais pas su que c’était ce parfum, j’aurai jamais trouvé. Bref, j’avale la moitié et continue l’ascension jusqu’au Refuge.
Du refuge, on entame la descente jusqu’au Lac de St Guérin. Mais avant, le 2e ravito, celui des Grangettes (1900m). Pause pipi ! Je bois ensuite mon coca habituel, et cette fois je prends du salé. Tuc power. Je reste un peu plus longtemps mais pas trop. Je me reposerai dans la descente.
Ca fait 4h10 que je suis partie. Je suis 93e et toujours 5e femme.
Km 24.1 -> 31.7 (2922 de d+ cumulé) : 3e ravito au Cormet d’Arêches (2109m).
La descente continue et gagne en technicité. Par chance, j’accroche un gars fort sympathique pour affronter dignement cette descente. Le rythme me convient plus que parfaitement. Merci Stéph (où Seb je sais plus…. ou aucun des deux si ça se trouve. On dira Stéph pour la suite). Nous arrivons rapidement sur la passerelle himalayenne du Lac St-Guérin (1564m). De nombreux spectateurs nous accueillent chaleureusement. Tant d’encouragements qui redonnent tellement d’envie et multiplient le plaisir. Nos noms sont criés. Nos morals boostés ! Ces ambiances sont magiques. Ces moments sont uniques.
Je suis donc complétement remotivée pour attaquer la montée jusqu’au Cormet d’Arêches (2104m) de 500d+. C’est une section que je connais bien, j’habite à 20km. C’est tentant de changer de route d’ailleurs ! Mais non, je ne quitterai ce chemin pour rien au monde. Je suis trop bien. Et je n’ai envie d’être nulle part ailleurs.
200d+ après le Lac, je retrouve mes supporters à moi du départ ! Ce qui fait encore plus plaisir ! Je tape une pose pour la photo (ou pas, ça monte dru !). Je ne prends pas le temps de m’arrêter ça me couperai les pattes ! Et puis on va se voir au ravito juste au dessus. Je les attendrai, je suis quand même plus rapide qu’une voiture non ?
Bref, je continue mon ascension ! J’ai abandonné Stéph au début de la montée pour suivre un rythme un peu plus élevé (à mon détriment futur peut-être….). Mais encore une fois, je ne ressens aucune fatigue, aucune douleur physique. J’ai l’impression de voler dans cette montée. Pourquoi ralentir ? C’est pas comme s’il restait presque 80 bornes.
J’arrive donc assez fraîche au Cormet une petite heure plus tard, à la 84e position et en étant 4e femme. Je croise Christophe, un membre du club venu encourager la troupe des VEO2000 ! Ca fait plaisir ! Et je retrouve mes parents et le Roro. Je passe un peu de temps sous la tente à grignoter. Pas grand chose me tente mais il faut essayer de combler les pertes et reprendre de l’énergie.
Pâté en croûte mélangé avec du chocolat noir, tucs avec du pain d’épice. Il n’y a plus aucune règle. Je n’oublie pas mon verre de coca. Ici ce sera deux. 5/6min à peine d’arrêt et je ressors de la tente pour continuer. Je récupère une flasque emplie de produits douteux auprès de maman et papa (#aptoniapower), leur confirme ma pêche actuelle et m’élance à l’assaut du Col du Coin (2394m).
Km 31.7 -> 39.4 (3659m de d+ cumulé) : 4e ravito au Refuge de Presset (2504m).
J’entre dans mon jardin. Ici c’est chez moi. C’est mon terrain d’entrainement de juin à novembre. J’en connais chaque recoin. J’entame donc doucement cette ascension de 300d+ parce-que l’inclinaison n’est pas des plus sympathique. Donc cool ! On va se fixer des points intermédiaires. La croix du Berger, puis le petit lac des vaches, puis le petit replat et enfin la montée, ou plutôt le mur final jusqu’au col.
Voilà, en un rien de temps j’y suis. Enfin en 40min quoi. Je peux saluer la Pierra Menta enfin visible. J’ai perdu le mec qui m’avait demandé si on la voyait quand on était au niveau de Refuge des Arolles c’est dommage ! Bohh, il ne pourra pas la louper je pense !
Bref, it’s time de descendre dans le vallon en direction du lac d’Amour. Une magnifique flaque du Beaufortain. C’est bien raide les 100 premiers mètres de d- mais après ça roule sur un petit kilomètre caillassé. Je rattrape la 3e femme au lac (2251m). La 4e ayant probablement abandonné juste après le Cormet d’Arêches. On discutaille tranquillement. En descente on est pas freinés par nos souffles de bœufs. J’ai malheureusement peu d’espoir pour elle… elle a des douleurs aux genoux et a fait l’erreur de courir avec des chaussures neuves. Je lui souhaite bon courage en espérant qu’elle ne se fasse pas mal et que ça passera.
Je prends la tête dans la montée jusqu’au Col à Tutu (2552m) et la distancie assez vite. Je double des randonneurs, c’est bon pour le moral, t’es une bête Manon. Et j’arrive à mon QG estival, le col à Tutu ! Cette vue sur le Lac de Roselend, Treicol, le Mont Coin, le Col du Grand Fond… ça se passe de mots.
Je redescends et emprunte le chemin le moins roulant du parcours. L’élégance n’est pas de la partie. Je m’accroche à ce que je peux et retrouve tout de même rapidement la section roulante jusqu’au Col de Bresson (2469m). Col de Bresson = contrôle de matériel. Coupe vent, frontale et pantalon imperméable siouplaît. No problemo no problemo. On veut me ralentir dans ma remontada pas de soucis. Ils ont peur ça se comprend. Je joue fairplay. Trêve de plaisanterie, je repars et franchis les 500m me séparant du Ravito de Presset.
J’arrive à la 83e position, en étant 3e femme, en 7h22.
Je regarde l’étal des victuailles. Rien ne me fait envie. Au contraire. Je remplis mes flasques espérant que ce temps me donnera faim. Ou du moins fera disparaître ce blocage mais non. Je bois même difficilement mon coca pourtant tant attendu à chaque ravito. Sachant que je n’ai rien mangé encore entre les ravitos sauf ma demie barre aux cookies du début vers le 20e kilomètre, je me dis qu’il faut quand même essayer. Je prends à contre cœur une poignée de chips, il te faut du sel Manon, on va raisonner logiquement. J’en avale deux poignées difficilement. Un petit bout de pâté en croûte. Je prends le temps de discuter un peu avec les bénévoles pour penser à autre chose. Je termine avec un peu de sucré. Mais ça me reste sur l’estomac. C’est pas l’horreur mais j’ai connu mieux comme confort.
Km 39.4 -> 47.1 (3829m de d+ cumulé) : 5e ravito et moitié de la course au Cormet de Roselend (1968m).
Je repars en direction du Col du Grand Fond (2671m), plus haut point de ce trail. Et pour moi, l’un des plus beau col du Beaufortain. Il offre un sacré panorama celui là ! Une vue de malade sur la Pierra Menta et le Lac de Presset. De l’autre côté, il nous balance le Mont Blanc en carte postale. Bref une pépite. J’ai donc hâte d’y être pour contempler une 10e fois cette vue.
J’y arrive sans difficulté. La gêne est passée mais le dégoût alimentaire subsiste. Cependant, le plaisir ne m’a pas quitté. Je profite toujours bien de ma course malgré ce petit soucis que je pense temporaire. Place à la descente dans la Combe de la Nova haha ! Et pas des moindres, elle est assez longue celle-ci. Environ 5km pour 600d-. L’occasion de relâcher les muscles et de récupérer un peu de toutes ces montées.
En plus, ça commence en ski ! Je mets les jambes bien parallèles, pousse sur les bâtons, et glisse à bonne allure ! Mon stage de trail en juin dans la neige m’aura au moins permis d’être complètement à l’aise dans ces portions. Bah alors l’italien, on galère dans la neige ? Je me fais une joie de le doubler haha !
Très rapidement on retrouve le sentier roulant. Au bout de 3km de descente, je me sens quand même un peu moins bien. Pas physiquement. Enfin pas au niveau des jambes. J’ai la sensation de perdre de l’énergie. Normal me direz vous, ça fait quand même 8h que tu cours, enfin que tu es partie. Mais quand même, c’est pas une sensation habituelle. « Qu’est ce que tu as dans le bide en même temps ? ». J’aurai du me poser cette question mais le sujet de l’alimentation, et également de l’hydratation ne m’a pas interpellé.
Bref, je continue tout de même à une allure correcte et puis mis à part ce vide qui s’installe, mes jambes m’obéissent bien, ne sont pas douloureuses et avancent au rythme souhaité. Je suis rattrapée par des mecs mais ça c’est toujours pareil dans ce type de portion ou ça roule bien. Donc rien de vraiment anormal non plus. C’est même monnaie courante pour moi !
La descente terminée, il reste 2km de plat descendant montant roulant jusqu’au Cormet de Roselend. Je redoutais un peu ce passage car je ne savais pas si j’allais pouvoir garder le même rythme tout le long mais je suis agréablement surprise parce que j’évolue à une allure régulière, sans me fatiguer.
Sur ce passage, je retrouve le mec qui cherchait la Pierra Menta. Il me lance « Hé ! On la voit quand du coup ?? ». Euh….comment te dire…. J’éclate de rire et lui dis qu’il est passé au pied il y a 10km !
J’arrive au Cormet sous les applaudissements des spectateurs et leurs encouragements. C’est le bon moment pour les entendre. Après des kilomètres de presque solitude, voir tant de monde redonne un coup de fouet. Et voir aussi les amies venues encourager (merci Flora, Mymy, Roro et Bibi, mais aussi Nicoco par la pensée !) puis retrouver la famille. Y’en a besoin à ce stade !
J’en suis donc au kilomètre 47, au bout de 8h40 de course, à la 80e position et toujours 3e femme.
Je pénètre sous la tente pour me ravitailler (vraiment ??).
Wahhh quelle chaleur. Je reste debout et remplie ma flasque. Vraiment Manon, juste une flasque à remplir ? Ca boit beaucoup dis donc !
Le buffet est grand. Mon appétit inexistant. Même fuyant. Je crois que je ne prends rien. J’ai très chaud sous cette tente et n’ai aucune envie de manger. Je me force à boire mon verre de coca.
A ce moment, je croise Stéph. Il s’étonne de me voir déjà sur le point repartir. Lui s’assied, prend le temps de changer de t-shirt, de s’alimenter et de boire. Je ne percute pas. Au fond de moi c’est : j’me sens bien, j’ai pas faim, j’vais donc repartir, pas besoin de me poser. Quel est le soucis ? Pourquoi manger je ne dépense pas des milliers de calories en ce moment.
Km 47.1 -> 64.3 (4767m de d+ cumulé) : 6e ravito au Hameau de la Gittaz (1652m) – La descente aux enfers, le moral enterré, le mental battu.
Il faut le dire, je ressors tout de même plutôt sereine de la tente, retrouve l’air extérieur et mes cop’s qui vont m’accompagner en birkenstock sur une petite, très petite, portion de la course. Elles me tendent le saucisson au chèvre que je leur avais assez lourdement commandé avant la course. Mais sa vision ne me provoque pas du tout l’envie que je m’en faisais les jours précedants. D’une terrible déception, elles le rangent et lui feront sa fête après mon départ. Je les quitte au bout de 300m pour rejoindre le Tunnel du Roc du Vent (2211m).
J’attaque donc les 4km et 300m de d+ qui m’en séparent. Et je me trouve faible dans la montée. Seule et incapable d’instaurer un rythme décent. L’environnement ne m’aide pas non plus à m’y sentir bien : le chemin est très large, la pente peu inclinée. Le type de terrain qui ne me plaît pas particulièrement. Je rejoins tant bien que mal le tunnel au bout d’une heure. Je mets une plombe à le traverser. Il est pourtant pas long du tout. A sa sortie, je me sens tellement faible. Les bénévoles me badgent, se ravissent de voir le dossard numéro 1 et m’encouragent ce qui me redonne un petit coup d’énergie. Mais vraiment petit parce que 200m plus loin, je m’assieds sur une pierre et contemple le Lac de Roselend sans vraiment le regarder, perdue dans mes pensées.
C’est à ce moment que je me dis qu’il faudrait peut être réessayer de manger. Mais j’ai cette boule dans la gorge. Boule qui ne me permet ni de boire ni de manger. J’essaye d’être raisonnable et sors une barre clif au muesli. Goût que j’adore parce-que j’ai l’impression de manger des smarties. Goût que je maudis à la première bouchée. Je n’ai jamais mis tant de temps à manger un micro morceau de barre. J’avale tant bien que mal et en reprends encore, puis encore une fois jusqu’à ne vraiment plus en avoir le cœur. Une moitié de barre c’est pas mal, ça va te donner un coup !
Pendant que je mangeais, bon nombre de traileurs sont passés. C’pas grave ! Le plus important c’est que je retrouve la forme, et surtout ma motivation qui commence à faire demi-tour.
Assez perdu de temps (ou pas assez, c’est pas du temps perdu Manon…), je remets le cap sur la course et retrouve un chemin qui est maintenant devenu un magnifique petit single. Single que j’aime tant. Allez, marche. Je croise des bénévoles qui me motivent également mais leurs paroles ne déclenchent rien de positif en mois. Je leur souris sans y croire et continue. Plus loin, j’en croise un nouveau qui me dit « Allez, courage, lève la tête et regarde le paysage! ». J’ai si mauvaise mine ? Rohlala. En effet, j’arrive pas à reprendre le dessus. Mes jambes vont bien, mais je suis vide. Vide avec un poids sur l’estomac. C’est frustrant. Des nausées apparaissent à chacunes de mes pensées alimentaires.
Derrière moi j’entends un encouragement. C’est Stéph qui me rattrape. Il trottine. Frimeur ! Mais merci beaucoup pour tes paroles !
C’est en grimpant vraiment difficilement (de nombreux arrêts et une vitesse ridicule) jusqu’au Col de la Lauze (2400m) et en me faisant doubler par des randonneurs surchargés que la question de l’abandon se fait de plus en plus présente dans mon esprit. Des bénévoles sont là. Je les regarde de loin, m’approche….et demande finalement s’il y a d’autres bénévoles au Col de la Sauce, 100m de d- plus loin. Ils me le confirment. Je vais prendre le temps de réfléchir encore. Trois femmes passent devant moi. Deux ont l’air de gérer et d’être parfaitement bien mais l’autre me ressemble étrangement. Je suis pas toute seule. Après 5min de pause au Col, je prends la direction de la Sauce dans l’idée d’y annoncer mon abandon.
Pendant cette descente, je rallume même mon téléphone pour appeler mon père et lui dire que je vais abandonner et redescendre sur le Cormet. Sauf qu’il n’y a pas de réseau. Pour moi mais pour eux également qui m’attendent à la Gittaz. Mince. Bon refaisons un bilan objectif : j’arrive à marcher malgré mon manque d’énergie. Physiquement j’ai aucun problème musculaire. C’est juste que j’ai plus de jus et plus trop le moral. Je décide donc de pousser jusqu’à la Gittaz coûte que coûte !
J’arrive au Col de la Sauce, décidée à grimper sur la Crête des Gittes pour rejoindre le Refuge de la Croix du Bonhomme (2439m) et rassurée car je croise un bon nombre de traileurs dans le même état que moi, mais gisant dans l’herbe ou s’asseyant tous les 10 mètres. Il y a pire Manon, t’arrives à marcher et à rester debout. Certes très peu vite mais sans trop t’arrêter. Et remets toi des pensées positives dans la tête !
Je me formate de cette façon, reprends le temps de contempler le paysage et savourer ces instants. En plus il faut beau quoi ! Les deux dernières années c’était orage en veux-tu en voilà ! Donc maintenant tu profites !
Je randonne sur la crête, retrouvant mon sourire. Sourire qui s’agrandit lorsque je réalise qu’on ne fait pas la crête crête mais le chemin en balcon. Ca va donc moins monter ! Chouette ! Il en faut peu pour être heureux hein. Bon la traversée de la crête se passe bien et j’arrive tranquillement au Refuge de la Croix du Bonhomme, ou en Chine je ne sais pas. Parce que de Juillet à Août, c’est blindé d’asiatiques ! Et ça loupe pas aujourd’hui ! Ou bien j’ai des hallucinations , je ne suis plus très lucide vous savez.
Un petit miracle se produit près de la fontaine du refuge. En sortant ma gourde pour la remplir, je perçois une barre de nougat chipée sur un ravito. Et bah vous savez pas quoi, j’ai envie de la manger. Mais mieux encore ! Je la mange ! Bref, je me marre toute seule en la mangeant et repars vers les bénévoles pour me faire badger.
« Ouais le numéro 1 on t’attendait !! ». « Haha c’est sympa ! Mais bon c’est fini pour moi ! Jsuis HS et trop jeune pour ces conneries ». « Mais non allez faut finir ! Allez allez ça va le faire ! Le numéro 1 doit finir !! Tu vas voir ça va revenir ! « . On passe 2/3min a discuter. C’est qu’ils ont presque réussi à me remotiver à bloc ces cons ! J’ai prévu d’arrêter moi, foutez pas mes plans en l’air ! Rohhh maintenant que j’ai retrouvé un semblant de pêche j’ai quoi comme excuse pour arrêter ? J’ai même réussi à manger un truc ! Ohlala !
Un nouveau mal se manifeste. Prévisible vu mon manque d’hydratation. Le mal de tête. Permanant et multiplié à chacun de mes pas. Il manquait plus que ça !
J’entame la traversée jusqu’au Col de la Croix du Bonhomme (2327m). Je marche à un rythme supérieur que précédemment. Mais ils m’ont vraiment fait vu bien eux ! Je continue tout de même à me faire doubler. Quelques femmes sont dans le lot ! Ce qui me permet de me dire que je suis partie trop vite surement. Elles sont en train de courir, n’ont pas l’air de souffrir. On prend le temps de discuter brièvement. Elles ont de l’expérience ! « Ah c’est toi le 1, mais t’as quel âge ??? ». Je me rends compte déjà qu’elles sont toutes surprises de voir que je n’ai que 22ans. Bah ouais, c’est que des nombres au dessus de 20 qui me doublent !
Mais je m’en fiche parce que je commence à reprofiter de la course. J’arrive au Col toujours très doucement mais bien. J’entame la descente vers le chemin du Curé. De nombreux coureurs m’encouragent et me proposent de les suivre. Ma tête veut, mais mon corps non. Cependant, je n’arrive certes pas à les suivre, mais je retrottine. Et au moment où la descente est plus roulante, je retrouve un petit rythme. Je retrouve un plaisir. De loin, j’aperçois le hameau de la Gittaz et j’ai envie de continuer. Je me dis qu’après le hameau, il n’y a plus « que » 40km et à peine 2000d+. Je reprends même mon téléphone et l’éteint. Je double une femme, celle qui était mal au point au col de la Lauze. Ca me redonne de l’espoir !
Je retrouve mes parents et mon frère à la Gittaz. Malgré mon plaisir retrouvé récemment, je suis de mauvaise humeur. Je râle parce qu’au fond de moi, je sais que je n’ai rien mangé depuis la barre de nougat il y a 8km et que j’ai très peu bu depuis les 10 derniers kilomètres. Certes, dans la tête j’y crois. Mais je me rends compte que sans rien avoir dans le bide ça va commencer à être vraiment difficile. C’est pas ton pauvre nougat qui va t’aider cocote.
On me dit de manger. JE SAIS (j’crois que j’suis un poil irritable à ce moment). Mais j’y arrive pas !! Encore une fois je me retrouve devant le ravito mais rien ne me fait envie. Tout me dégoute. Roro me dit d’essayer les oranges. J’essaye, ça passe mais bon c’est pas avec deux quartiers que j’vais finir le job. Je prends deux carreaux de chocolat. Je commence un gel au café. Je prends des chocolats au cœur de figue. Mais ce peu de nourriture me reste sur l’estomac, je ne peux pas prendre plus sinon tout va repartir dans l’autre sens. La sensation est tellement désagréable dans l’œsophage. Je bois un peu de coca. J’en veux plus. Je veux plus rien. C’est trop. C’est trop mais pas assez pour que mon corps affronte la suite.
A la Gittaz, on est face à une hécatombe de coureurs. On gît tous sur le sol. A essayer d’aller mieux. Certains sont comme moi, incapables de manger ou boire, d’autres épuisés physiquement ou encore pire, à la limite du malaise.
Je discute avec mes parents et Robin de la suite. Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Ou plutot je n’arrive pas à le dire. Parce qu’abandonner est difficile mine de rien, même si on y pense depuis 15 bornes. On a toujours l’espoir que ça reparte, que la machine retrouve du carburant. Et puis je suis frustrée parce qu’au niveau des jambes tout va bien. Mes cuisses ne sont pas douloureuses en montée. J’ai pas mal aux genoux en descente. La respiration est calme. Le cardio est stable et ne tape pas anarchiquement.
Est-ce-que je dois être raisonnable ou persévérer pour atteindre mon objectif ? Pour terminer cette course attendue depuis des mois. Pour boucler mon 1er ultra.
Puis vient la phrase que j’attendais surement secrètement. « Tu sais Manon, tu peux arrêter aussi. C’est déjà énorme ce que tu as fait ». Un soulagement me traverse. Merci pour cette phrase. Je sais bien que personne n’aurait été déçu de mon abandon, à part moi. Mais c’est bon de l’entendre dit aussi bienveillamment.
Après cette phrase, je rerereréfléchis. 40km et 2000d+ sans manger (enfin très peu). Je peux le faire j’en suis certaine. Mais dans quel état ? Je ne joue pas la montre donc je peux pousser jusqu’à 8h demain matin je m’en fous mais dans quel état je serai ? Je doute de retrouver l’envie de manger. Et faire ces bornes dans un état de faiblesse va me détruire moralement mais aussi me mettre en danger. Surtout qu’on attaque la partie qui n’est plus de la haute montagne. Donc moins de single, moins de panorama à couper le souffle. A quoi je vais me raccrocher quand je serai aux Saisies au milieu des remontées mécaniques, dans la nuit ? Je ne prendrai aucun plaisir et subirai la course. Non, mon ultra je veux le finir bien et souriante, comme à mon habitude, et en prenant du plaisir.
Je me relève et pars courageusement annoncer mon abandon à l’organisation. Je quitte la course à la 107e position au général en étant la 8e femme. Ils gribouillent un petit A sur mon dossard, prennent le temps de discuter avec moi et me donnent rendez-vous l’année prochaine. Je serai de la partie croyez moi.
Je retrouve mes parents et prenons le chemin du retour. Je suis heureuse d’arrêter. Heureuse d’avoir parcouru ces 65km et 4767m de d+ en 13h. Je n’avais jamais fait autant. Heureuse d’avoir été longtemps 3e femme. Heureuse d’avoir été 64e scratch. Heureuse d’avoir partager des instants de course avec des inconnus. Heureuse d’avoir traverser ce magnifique massif qu’est le Beaufortain. Heureuse de savoir que mon physique tient la route.
Je tourne le dos à la Gittaz avec le sourire. La déception et la frustration n’ont pas leur place pour le moment, elles viendront plus tard. Pour le moment je suis soulagée de mettre fin à cette course et d’ainsi conserver un magnifique souvenir de cette expérience qui se sera achevée positivement, sans douleur.
Salut les gars, et à l’année prochaine. Promis, j’ai une revanche à prendre. J’ai un goût amer dans la bouche qui ne demande qu’à disparaître.
Maintenant j’vais dormir. Puis j’vais avaler des bornes et du d+. Apprendre à m’alimenter et à m’hydrater. Mais aussi à m’arrêter aux ravitos, prendre mon temps. Et l’année prochaine, je franchirai l’arche et je la franchirai dans de bonnes conditions.
Un grand merci à l’organisation de ce trail qui a fourni comme chaque année un travail colossal pour nous permettre de courir en toute sécurité, sur des chemins magnifiques. Et bien sur, énorme merci aux bénévoles. Merci pour vos soutiens et encouragements sincères remplis de bienveillance. Vous êtes nos anges gardiens sur les sentiers.
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[…] dès le 1er janvier 2020 pour de prendre ma revanche à la suite de mon abandon de 2019, je suis dans les startingblocks ! Aux côtés des nombreux combattants, je serai sur la ligne de […]