Comblée de ma première traversée sur le GR5 et impatiente de remettre ça, c’est sans plus tarder qu’à mon retour de Barcelonnette, le soir même, j’ai réservé et planifié mon second voyage. Quand c’est fini, on a qu’une envie, c’est de recommencer. Vérité absolue. Comme droguée par les montagnes, dépendante de leur bienfait, jamais rassasiée bien qu’épuisée, j’y ramperai si mes jambes ne pouvaient plus me porter.

Je vous rembarque donc avec moi pour une deuxième aventure le long du GR5. Cette fois à contre-sens. Je remonte vers le lac Léman, en quête d’y trouver un autre amour de ma vie, mon frère, mon p’tit suisse. Dans ce sens, je tomberai peut-être sur plus de monde que la dernière fois, croisant ceux qui empruntent la voie « normale » ! Et oui, c’est quand même plus rare de le faire dans ce sens, s’éloignant de la mer, du sud et des cigales !

Deuxième aventure ai-je dit ? Pas seconde. Non non, certainement pas. Si l’avancée du temps et la fin de la saison me poussent à reporter mes projets à l’année suivante, je ne compte pas m’arrêter là. Je ne vois pas plus grand. Enfin un peu quand même. Mais je vois d’autres choses, d’autres portes s’offrir à moi, ayant gagné les clés pour les ouvrir.

Franchir le pas de me lancer seule dans ces aventures et d’en sortir victorieuse a fait naitre de nouvelles idées dans ma petite tête. Être capable d’enchaîner d’assez longues distances, sans grosses difficultés…me donne des possibilités de plus en plus intéressantes…et qui me plaisent terriblement. Etape par étape, je me rapproche de ce qui m’épanoui vraiment et je m’offre le luxe de pouvoir exprimer ce qui me plaît dans cette montagne.

Pour l’heure, c’est avec le plus grand plaisir donc que je replonge, avec vous, au cœur de ces quatre jours qui, encore une fois, ont été merveilleux. A travers le Beaufortain, le massif du Mont Blanc, les Aravis, le Haut-Giffre, le Chablais et à cloche-pied entre la Suisse et la France, je me suis régalée d’innombrables paysages, ai découvert de magnifiques personnes et dégusté de délicieuses spécialités. Une seconde fois, ces montagnes m’ont enseigné les plus belles leçons : l’humanité, le partage, la découverte et l’épanouissement. Source de bonheur et d’enseignements, elle est la meilleure des instituteurs.

Avant de vous embarquer dans ma tête, j’ouvre une petite parenthèse et deux/trois tirets pour vous fournir quelques détails sur ma traversée :

  • 167km et 9400d+ affichés au menu pour avoir la chance de tremper mes pieds dans l’eau du Lac Léman et retrouver mon frère de l’autre côté, à Lausanne. La trace se trouve ici !
  • Cette deuxième traversée se fait en 4 jours. Elle est plus courte que la première. 100 bornes en moins, donc deux jours en moins !
  • Entre 7 et 10h de marche par jour.
  • Aucune variante empruntée, que du GR5.
  • Ma besace était composée des mêmes choses qu’à la première édition. Juste un peu moins de bouffe ! Et un t-shirt à manche longue supplémentaire qui aura juste fait le voyage dans le sac. Privilégié !

 

Le tracé de ces quatre jours !

 

Lundi 7 Septembre 2020 :

Les Chapelles -> Refuge de Nant Borrant

(38,4km – 2432d+)

 

A vrai dire, tout démarre la veille, avec l’arrivée d’Ana et Romane ! Ana s’est lancée sur la Route des Grandes Alpes à vélo de route ! Et elle fait étape chez moi ce soir, accompagnée de Romane, son soutien pour les deux premières journées. Tout est fin prêt pour les accueillir au mieux ! Presque 1kg de sérac au frais. Petit tuyau, le sérac est très clairement à l’origine de ma réussite. Surtout celui de chèvre. Donc mangez du sérac. C’est bon.

On passe une excellente soirée, rapidement écourtée par notre fatigue et la longue journée qui nous attend respectivement demain.

Pourquoi tout démarre la veille du coup ? Parce que la veille d’un départ, quand on s’apprête à perdre tous ses repères, quitter son confort, il est bon de prendre une énorme dose de quiétude et de partager une soirée autour d’un repas ou même juste passer un coup d’fil à l’autre bout de la France. Avant de se terrer loin de tout, durant des heures silencieuses et solitaires, rions.

 

Départ brumeux à 7h, le lendemain de cette soirée. Ana et Romane partent au Sud en direction de Modane. Je pars au Nord. D’ailleurs, je vous invite à aller voir la magnifique vidéo qu’Ana a réalisé sur sa traversée de l’espace (cliquez là !).

La journée ne s’annonce pas forte en surprise ! Je connais le parcours par cœur. Ça tombe bien, je ne vois rien. Tout est voilé. Visibilité inconnue à plus de 50m. Vitesse réduite à 50km/h.

Mais la vie est bien faite, en tout cas aujourd’hui, et à partir de 10h, ça commence à se lever timidement. De petites percées m’exposent la Nova et la Pierra Menta. Ces sommets, c’est la centième fois que je les vois. C’est la centième fois que je les découvre. A chaque fois, ça change. Un point de vue différent, un nuage supplémentaire, cette trouée. Un renouveau perpétuel et un enchantement absolu lors de toutes ces nouvelles rencontres.

En ce mois de septembre, les sentiers sont de moins en moins arpentés, les randonneurs de moins en moins nombreux. La fin de la saison d’été a accompli son magnifique tri et a su garder dans ses rangs de vaillants combattants ! Nombreux sont ceux portant un sac conséquent, seuls, à savourer les mêmes instants que je m’apprête à retrouver. D’un regard et d’un « bonjour » sincère et souriant, nous nous offrons chacun, secrètement, ce petit réconfort de réaliser que nous ne sommes pas totalement seuls dans cette immensité. Tu vas passer sur les sentiers que mes pieds viennent de frôler, c’est la bonne voie, quelqu’un en vient et en est revenu.

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De cette première journée, mes ressentis sont mitigés. Comme je l’ai dit, je connais cette première étape par cœur, c’est mon terrain de jeu, mon jardin. Col de Bresson, Plan de la Lai, Crête des Gittes, Col de la Croix du Bonhomme et j’en passe… je les connais comme si j’les avais fait ! Je n’ai aucun besoin de regarder les panneaux, mes jambes savent où aller sans même concerter mon cerveau. J’ai un plaisir fou à être là, mais l’état qui me submerge habituellement se fait attendre et ne pointe pas totalement le bout de son nez. Je ne ressens pas les mêmes émotions qu’au premier jour de ma première traversée. Une chose manque. La découverte. Le Beaufortain, c’est mon jardin. Sur cette portion particulièrement, je connais chaque recoin. J’y suis déjà passée jusqu’à une quinzaine de fois. Bien sûr, j’y remarque toujours de nouvelles choses lorsque mes yeux s’attardent sur des images plus précises, mais le tableau général reste inchangé.

C’est donc, sans atteindre totalement ce sentiment de plénitude que j’achève ma première journée mais je reste incroyablement satisfaite et heureuse de cette première étape. On est super bien mais on en veut toujours plus hein !

Allongée sur les transats du refuge, sirotant une bière et dévorant un sandwich, j’observe mon monde, un sourire damnable aux lèvres en voyant les autres randonneurs suant le long du chemin, car eux, ne sont pas encore arrivés. C’est cruel ça… « Et après tu prônes des valeurs de bienveillance, soutien… » :p

 

Les compagnons du soir arrivent, seuls ou en groupe. Il n’y a que moi sur le GR5, les autres arpentent les sentiers du TMB. Ils ne sont pas parfaits. Qu’à cela n’tienne, je leur adresserai quand même la parole !

Ce soir, auprès du poêle, on va se régaler : la classique soupe de légume, le gratin de pommes de terre accompagné d’une Diot que je dévore à côté de Célya, végétarienne. Un énorme morceau de tomme et une part de tarte aux pommes ! Il n’en reste pas une miette et pas une trace, façon de symboliser mon rassasiement et mon appréciation des plats servis. Faire témoigner cette assiette vide de reste auprès du cuisto à son retour en cuisine ! Sans un mot, sans un geste, mais de cet acte émane une reconnaissance réelle du travail accompli.

Demain, avec tout ça dans le ventre, les sentiers vont saigner. Ou plutôt mes pieds. La plus grosse étape de ces quatre jours m’attend patiemment à la sortie du refuge, juste derrière la porte d’entrée! A cette pensée, je file vite me coucher, impatiente d’être le lendemain.

 

Infos pratiques du Jour 1 :

D’un point de vue balisage, je serai totalement incapable de vous renseigner sur sa qualité/fiabilité. Mais dans l’ensemble, comme on parcourt uniquement de la montagne, ne croisant qu’une seule fois une route goudronnée, il y a très peu de chemins différents et donc de façon de se perdre.

D’ailleurs, d’un point de vue ravito, cette section est limitée. Pour l’eau, il y a des torrents et quelques fontaines. Peu mais suffisamment pour ne pas mourir de soif. Après, côté mangeaille, c’est pas la folie. Déjà, vous ne croisez aucun bled, donc aucune épicerie. Les seuls ravitos solides seront en refuge, soit à La Balme, au Plan de la Lai ou au Col du Bonhomme. Pour avoir testé les desserts de ces trois refuges au fil des années, je recommande les yeux fermés les desserts plus que généreux du Col du Bonhomme ! 5euros la part et au final c’est le gâteau entier qui se trouve dans l’assiette !

 

Mardi 8 septembre 2020 :

Nant Borrant -> Refuge Alfred Wills

(48,5km – 3100d+)

 

Réveil naturel à 6h. Je prends le wagon des petits déjeuner de 6h30. La journée va être longue ! Au temps partir au plus tôt ! Il vit déjà bien à cette heure le refuge. Les randonneurs sont bien matinaux ici. C’est bien la première fois que je ne me retrouve pas quasiment seule devant mon bol de lait et mes Chocapics.

Adieu compagnons de table. Ce fût un plaisir de voir nos chemins se croiser et partager ces brefs instants de vie qui resteront toujours dans ce petit coin de ma tête, rangés dans le tiroir des bons souvenirs.

Je remercie la gardienne du refuge pour l’accueil et la régalade de la veille puis je décolle.

Je ferme la porte du refuge, fais quelques centaines de mètres. Et ça y est… ! Je découvre ! Je foule une terre inconnue. Dès 7h du matin, je suis heureuse, le sourire jusqu’aux oreilles, je débaroule sur ce chemin trop large. Un début de journée qui démarre sous les plus beaux aspects, promesse de grandes choses !

J’ai 3000d+ à gravir. Je me réjouis. J’attends avec impatience mon arrivée aux Houches, avide d’avaler les 1500d+ qui me sépareront du Brévent. J’aime ces longues montées. J’aime les sensations qu’elles me procurent. L’enchaînement des lacets, rapides et serrés, les pierres entravant le passage, les escaliers naturels…. Rien que d’y repenser, je meurs d’envie d’y retourner.

Il est 10h, je suis au pied du Brévent. Les yeux pétillants, la tête tournée vers le sommet, ni une ni deux, je ne me fais pas prier et entame la bataille !

Il me faut généralement 50d+ pour trouver mon rythme, accorder la vitesse de mes jambes sur la mélodie de mon souffle, synchroniser mes bras sur mes pas pour former une superbe harmonie. 50d+ aussi pour dépasser la douloureuse sensation due au changement d’effort et à la sollicitation d’autres muscles. Sur ces premiers mètres, on a parfois envie d’arrêter, ça fait mal, c’est l’horreur. « Mais comment j’vais faire pour tenir pendant des heures dans ces conditions ? ». Et puis la douleur disparait, laissant place au plaisir euphorique de l’ascension. Plaisir multiplié à chaque pas. Ça grimpe tout seul. Je grimpe toute seule.

Une seule ombre au tableau. L’ombre justement. Y’en a pas. Quand ça tape sur le Massif des Aiguilles Rouges, on souffre. Même dans la forêt au début, l’air est lourd, sec, surement pour nous préparer au douloureux supplice qui nous attend en sortant de son cocon.

Mon litre et demi de flotte s’épuise vite. Trop vite. Par précaution, je ne touche pas à mes derniers 250ml. J’ai de l’expérience en période de sécheresse, j’ai vu le film Aladar des dizaines de fois. J’ai appris à être prévoyante. Je guette l’apparition du Refuge de Bellachat (2152m), juste sous le Brévent, au bout de 1100+ depuis les Houches.

Sauvetage en vue ! Assurée de pouvoir me recharger, j’prends le temps de discuter avec quelques randonneurs. Non, non, j’suis pas desséchée, trop facile cette montée ! « Ouais, bien sûr…et vous ? Non ? Et vous allez jusqu’où ? Ah oui je vois…, oui en effet…oh peut être on verra… » Bon allez, arrêter de me tenir la jambe, faut que je plonge dans la fontaine. Fontaine ? Où qu’elle est ? Un bachal, une flaque d’eau j’m’en fous mais il me faut un truc mouillé là. Mon détecteur à or bleu n’émet pas de son.

Comme Bill Carson dans Le Bon, la Brute et le Truand, implorant de l’eau à Eli Wallach, alias Tuco, je reproduis la scène avec la gardienne du refuge en franchissant la porte. Pour la référence à ce chef d’œuvre, cliquez ici et admirez le jeu d’acteur que j’ai su reproduire à la perfection.

Désolée, la gardienne m’annonce qu’il n’y en a pas. Aucune source à proximité. C’est sec de chez sec ici. Mais ils en vendent ! Etant sûre de ne croiser aucun point d’eau avant au moins 10 bornes et 500+, je me résous à en acheter. A acheter de l’eau. 6€50 la bouteille. Je prends le temps d’appeler ma banquière pour avoir son avis. Est-ce un investissement intéressant ? Est-ce judicieux d’investir dans de la Cristaline alors qu’Evian est en plein essor ? Que disent les marchés ? En plaçant mon argent là-dedans, ne suis-je pas en train de compromettre grandement mon avenir… Je donne donc un de mes reins pour avoir 1,5l d’eau… Place à la dégustation de ce mets rare et précieux. Comme vous vous en doutez, je n’ai pas laissé la moindre goutte d’eau dans la bouteille.

Donc un conseil, faites l’ascension sous la neige ou prévoyez assez d’eau. Ou bien faites le GR dans le bon sens comme les gens normaux et vous aurez simplement à descendre ce machin. Ok pour faire marcher les refuges, j’suis la première à m’y arrêter mais là… C’est bien parce que je n’avais pas le choix.

Passons ce petit détail qui a, dans un sens, contribué à l’allégement de mon sac vu le trou dans mon porte-monnaie, et revenons à ce que j’ai découvert réellement ce jour-là, au fin fond de moi.

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Après ma halte au refuge (+ un ptit coca), j’avale facilement les derniers 400d+ qui me séparaient du Brévent (2525m). Je m’y accorde une longue pause, mange la moitié de mon sandwich, et contemple. Je lis le nom de tous les sommets inscrits sur la table d’orientation. Soif de pouvoir tous les nommer. Consciente de l’éphémérité de ce nouveau savoir. Réjouie d’un panorama totalement dégagé. Je vois le Col de Voza (1657m) au sud. J’y étais il y a 3 ou 4h. Au nord, le Col d’Anterne (2257m). J’y serai dans 2/3h si dieu le veut ! Si mes jambes le veulent plutôt !

Visualiser son parcours. Son passé et son futur. C’est le cadeau qu’offre un sommet. Je dessine le chemin de mon ancien moi et imagine celui du futur moi, loin là-bas.

Admirer ce qu’on a fait parce que c’est quand même pas mal, ça en fait une trotte ! Se languir de ce qui nous attend. Secrètement, ressentir une immense fierté nous traverser. C’est si loin mais ça passe si vite.

Petit à petit je me rapproche, sans le savoir, de ce qui a fait de cette journée une journée si particulière. Je redescends de mon piédestal. J’entame la looooongue descente avant l’ultime ascension de 800d+. J’appréhende un peu. Après une grosse et lente descente et sans compter ce qu’il y a eu depuis ce matin, comment vais-je me sentir ? Comment mes jambes vont répondre au dernier pic de dénivelé positif ? Vont-elles répondre ? Mes tracassements sont vite atténués. J’ai le bonheur de m’entendre penser « allez, cours cette descente que l’on reprenne enfin du vrai plaisir ». C’est en bonne voie !

Face aux premiers mètres de l’ascension, après les 50d+ désagréablement obligatoires, je bascule.

Je bascule dans un autre monde. Celui où le corps et le sentier ne font qu’un. Mon corps suit la courbe et l’inclinaison que le chemin dessine. Il ne subit rien. Mon esprit se détache de l’effort. Je ne ressens plus l’effort. Un océan de bien-être me submerge. Mes jambes avancent seules, s’accordent avec le rythme de mes bâtons. Sans effort, le sourire aux lèvres, des litres de sueurs dégoulinants de mon front, le cerveau complétement euphorique, je me sens invincible. Transportée dans un autre univers, soumise à une ivresse merveilleuse de la marche. Envahie d’une terrible sérénité dans un moment pourtant si intense et éprouvant, je suis cette femme du peuple peinte par Eugène Delacroix sur son tableau, La Liberté guidant le peuple.

Entre parenthèse, pour nuancer un peu, ce sentiment est totalement indépendant de la notion de vitesse où de performance selon moi. J’ai bien conscience que Pierre et Paul vont bien plus vite, tout comme je suis plus rapide que Jacques. Ce ressenti, on peut tous le rencontrer, à notre échelle. Que l’ascension soit réalisée à 1500+/h, 850 ou 200, on s’en fout. C’est ce que nous renvoit notre corps et notre esprit qui compte. La sensation qui l’envahit.

J’ai croisé des personnes allant à une vitesse ascensionnelle dingue mais ne transpirant pas la moindre émotion de bonheur, subissant seulement. Alors qu’à côté j’ai croisé ce jeune couple de retraité, qui mettra surement deux heures de plus que moi à arriver au même point, mais qui respirait la joie, évoluant à leur rythme, ravis. Ils ne ressentaient peut-être pas au même point mon état, mais devaient être dans la bonne direction.

J’ai la prétention de dire qu’après les 3000d+ de la journée, j’étais triste de voir l’ascension se finir. J’aurai aimé continuer plus haut, ne pas constater l’écrasement du chemin attestant de l’emplacement du Col.

Après des centaines de milliers de dénivelés positifs bouffés pendant quelques années, j’ai la chance d’avoir enseigné à mon corps la maîtrise d’un certain effort et la capacité à le subir avec plaisir. A mon rythme. Et à en redemander. Autoflagellation pour certain, ravissement pour d’autres. S’infliger une douleur et la transformer en une agréable sensation, c’est un super-pouvoir génial non ?

Cette deuxième journée m’a réellement révélé ce sentiment. Faculté qui sommeillait en moi, ayant surement déjà pointée le bout de son nez mais sans avoir atteint la zone de mon cerveau me permettant de la ressentir et de l’expérimenter totalement : l’adaptation d’un corps fatigué à un effort intense maîtrisé, la fusion du corps avec l’environnement, la disparition des notions de temps et de distance. L’humaine que je suis à cet instant, bercée par les battements non anarchiques de son cœur et fascinée par la simplicité de l’effort ; en plus de découvrir la nature, se découvre soi.

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Après une longue journée, après presque dix heures d’activité, quoi de mieux que de se poser au Refuge, attendre paisiblement le service du souper puis se jeter dans son lit et ronfler jusqu’à 7h30. Ouais, je m’accorde une grasse mat demain. C’est plus court demain.

Et bien non ! Avec mon super trio du soir, on se fait embaucher pour éplucher les patates, carottes, couper les échalotes, poivrons, pruneaux… Feignant une fausse fatigue (qui a quand même la légitimité d’exister), je les regarde bosser, me contentant d’animer la conversation. Vous le faites mieux que moi ! « Que tu rappes bien Guillaume, plus une trace de peau sur ces patates ! Et toi Alain, la précision avec laquelle tu coupes les poivrons en fins dés, admirable ! Et puis toi, Cécile, ta capacité à ne pas pleurer face aux échalotes. Chapeau bas ! » Bordel ce qu’on se régale avec le gardien à les regarder bosser ! Bon, le gardien bosse aussi hein. Mais il est seul en cette fin de saison et c’est avec plaisir qu’on l’aide ! Y’a beaucoup de chose à assurer ici. Trente-six milles casquettes à porter et dix milles compétences à maîtriser.

On rigole, on discute de tout et de rien. Surtout de rien. On a une chance incroyable d’être là avec ce numéro de gardien. L’âme d’un refuge, c’est l’âme d’un gardien. Et ce refuge Alfred Wills, isolé sur ce plateau alpin, il porte bien son nom. Accueillant, chaleureux et convivial tout en conservant cet esprit rustique et « précaire » des abris de montagne, il est gardé par un bonhomme exceptionnel. Un intérêt pour chacun de ses arrivants. Connaissant notre nom avant même d’avoir entendu le son de notre voix. Une histoire à raconter pour chaque sujet évoqué. Toujours un mot pour rire. Un humour et un second degré qui cachent une extrême bienveillance. Inquiet qu’on ne manque de rien, j’ai eu droit à un rab de couverture, un digestif et à la fin de la marmite de polenta. Allez, pour la peine, notre quatuor t’aide pour la vaisselle des 30 couverts du soir.

Comme il l’a si bien dit à notre arrivée, « c’est là où y’a pas de réseau qu’on est le mieux connecté ». Cette courte soirée me laissera d’éternels souvenirs. Merci gardien à qui j’n’ai même pas demandé le prénom. Quelle importance ?

 

Infos pratiques du jour 2 :

Petit point balisage : grosse déception… De Nant Borrant jusqu’aux Houches, beaucoup trop d’incertitudes et d’imprécisions. De plus, étant sur le même parcours que le TMB et ne voyant pas de traces du GR, je me dis que ce n’est pas grave, le balisage du TMB doit prendre le dessus sur cette section. Que nenni. Des carrefours qui vous laissent en plein milieu, à jouer à plouf plouf. Des panneaux qu’en pleine nuit il serait impossible de voir compte tenu de leur distance éloignée de la route. Non, vraiment, le segment entre les Contamines et les Houches était mauvais dans sa globalité. Bien sûr pas tout le temps et heureusement.

Enfin, le passage dans les villes cette fois était vraiment décevant. Merci l’application IGN rando pour me remettre sur le droit chemin. Je ne savais pas qu’aux Houches il fallait suivre l’itinéraire VTT pour trouver le début du sentier du GR5 allant au Brévent et qu’aux Contamines il fallait tourner à gauche alors qu’il n’y avait zéro panneau.

Bref, sinon, après les Houches, c’était parfait ! Fluide et sans problème. Des drapeaux blancs et rouges peints sur les rochers, vraiment bien visibles et au bon endroit !

Petit point ravito : aux Contamines, boulangerie et bars sont présents et ouverts ! Idem aux Houches où je me suis régalée comme jamais. La pizza de 10h ! Et cette part de délicieux, un feuilleté caramélisé aux fruits rouges. Et ce cannelé. Mon point faible ! Terrible.

Pour l’eau, mis à part sur la montée du Brévent, des fontaines se baladent un peu partout ainsi que des sources, sans troupeaux au-dessus !

Good Night

 

Mercredi 9 Septembre 2020 :

Alfred Wills -> Refuge de Chésery, Suisse

(40,7km – 2100d+)

 

Le lendemain, comme convenu, réveil moins matinal. En plus, ici, en fin de saison, les PDJ sont servis à partir de 7h30. La légende dit tout de même que si ça avait été plus tôt, je me serai levée plus tôt. J’aime arriver tôt. Passer la matinée en montagne, assister au réveil de celle-ci et l’après-midi me détendre au refuge. Mais aujourd’hui, j’ai le temps. Pas d’impératif. La météo n’est pas menaçante. Et puis je me sens tellement bien dans ce refuge, alors prolongeons l’instant et retardons les adieux. Je partage le p’tit déj avec les amis de la veille, le gardien et le berger venu prendre le café. L’impression d’être une grande famille, unie par la passion de ce qui se fait en montagne, me traverse brièvement.

C’est avec un peu de peine que je me décide à partir, la première, laissant peut-être à tout jamais l’image de ces magnifiques personnes derrière moi.

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Quoi de spécial pour cette avant dernière journée… ? Déjà ??!!!

On passe en Suisse à la fin de l’étape ! Par le Col de Coux (1921m) au kilomètre 31 ! Avec un panorama de dingue sur les Dents du Midi !

Et quand on passe en Suisse, prenez garde ! Votre moral va être mis à rude épreuve. Concernant les délais indiqués sur les panneaux…ils sont très optimistes ! Ils voient surement des Jornet en chacun de nous…flatteur mais ambitieux ! Côté français, j’ai l’habitude de diviser d’office par deux voire trois les timings estimés mais là… Que nenni ! ça pique un peu le moral cette histoire !

En arrivant en Suisse, quelques centaines de mètres plus tard, j’arrive à cet instant, rare, où plus rien ne va. Où j’avance mais j’ai l’impression de reculer. Un pas en avant, cinquante en arrière, dans la tête. Une bataille à la fois physique et mentale se joue simultanément. Les trois quarts du parcours ont été passés avec brio, sans encombre et ce passage final en Suisse s’avère difficile ! Une autre facette de l’humain qui sommeille en moi va pointer le bout d’son nez. L’humain incertain, négatif, faible.

Quand, malgré le paysage sublime, le temps radieux, la passion, et l’envie de faire, le craquage et le ras-le-bol s’immiscent et occupent tout l’espace, la belle balade perd de son éclat. Ces instants, qui ne durent pas si longtemps mais qui prennent une énorme place, installent le doute. Chaque pas est une punition. Un mètre semblable à douze kilomètres. Chaque panneau une désillusion et un coup de marteau qui vous enfonce encore un peu plus bas sous terre.

L’impatience d’arriver et d’en terminer vous fait oublier qu’on ne peut pas aller plus vite que la musique. Qu’on ne va pas moins vite. Mais que cette perception du temps qui s’efface quand tout va bien n’est plus, et se transforme en une longue agonie. Le rythme des jambes est le même. Mais le cerveau ralentit la mélodie et la change en une symphonie dramatique.

Les Dents du Midi – Col de Coux

Dans ces moments de fragilité, je me ferme totalement à tout. Aux autres et à la montagne. Seul le sol et mes pieds ont toute mon attention. Les grands oubliés ont leur moment !

La montagne est belle, mais dans ces moments-là, elle n’apporte rien. Au contraire, elle nous renvoit notre image, reflète nos défaillances, nous rappelle que nous ne sommes qu’humain. Nous nous lançons dans des défis, traversons des massifs, passons une multitude de cols à la journée, en profitons pour faire quelques sommets, histoire de prouver nos capacités et jouer avec nos limites ! Mais nous ne sommes pas des dieux. Nous sommes des hommes et des femmes, avec des failles malgré nos exploits dans certains domaines. Et on ne peut pas tout le temps être au top. Mais ce n’est pas grave. C’est humain.

Forte et fragile, courageuse et douteuse. Tant d’ambivalences, de contradictions qui forment un tout qui tient quand même assez bien debout. Bancale par intermittence dans ma tête et stable sur mes deux jambes, c’est grâce à tout ça que je parviens à faire ce que je fais ! Je conjugue le bon avec le moins bon, pour ne pas dire mauvais, et fais en sorte d’en écrire une belle phrase positive.

N’essayons pas d’effacer ces petits défauts qui peuvent faire « tâche » dans une aventure ou même dans une vie. Ils font parties du tableau, de l’histoire et sans eux, peut-être qu’on n’arriverait pas au bout du chemin. Le plaisir serait-il le même s’il n’était pas accompagné de moments de souffrance, physiques et mentales ? Sans ces moments difficiles, de doute, de crainte, de peur, de saturation, on aurait déjà tous accomplis des prouesses phénoménales. C’est cette difficulté et notre capacité à la surpasser qui signe l’exploit, la réussite. « Si c’était si facile, tout l’monde le ferait », hein les Casseurs Flowters.

L’exploit, c’est de se dépasser. Se dépasser soi. L’exploit est singulier. Ton exploit ne dépend que de toi, de tes sensations, de ta satisfaction. L’exploit n’est pas comparable à l’exploit de Christine ou de Michel.

Si je compare ce que je fais à Elise Delannoy, Flora Gueï où Emelie Forsberg, je suis nulle. Si je me compare à mon ancien moi, je suis un monstre ! Tout est à remettre dans son contexte !

Les Portes du Soleil et son long chemin – Col de Coux

Avec le temps, l’expérience, ces passages de remise en question sont de moins en moins fréquents et intenses. Me connaissant de mieux en mieux, je les anticipe. Et outre cette meilleure conscience de mes failles, j’ai appris à accepter l’effort que requiert une telle entreprise sportive. C’est par cette prise de conscience que je m’attarde moins sur ces sensations négatives. Ça fait partie du jeu. Et ça en vaut la chandelle. Sortir de l’idéalisme. Accepter qu’on va en ch***. On ne va pas toujours gambader comme Heidi. Parfois oui. Mais parfois aussi ce sera dur.

La montagne n’offre pas toujours de magnifique sentier, emplis de parfum et de paysage à couper le souffle. Parfois c’est une route asphaltée sans charme, pendant des kilomètres, une piste de ski alpin entournée de remontées mécaniques et de pelleteuses. Ce n’est pas forcément un grand soleil et une température parfaite. C’est parfois du brouillard, du vent glacial ou un orage qui vous guette.

Incontestablement, l’image que j’ai de la montagne est merveilleuse, car elle l’est. Mais n’oubliez pas ce qu’elle peut être aussi, et que, pour y pénétrer, il faut le mériter. Et ce n’est pas un billet rose, vert ou orange qui va vous y porter.

Bon, du coup, est ce que je vais enfin réussir à revenir à cette journée ? Journée tout de même longue, et finalement plus difficile que celle de la veille alors que sur le papier, elle semble plus simple. Indéniablement, le profil général me convient moins. Trop roulant ! Et il a fait chaud. Et j’ai manqué d’eau. Et y’avait pas beaucoup de single. Y’avait pas non plus de framboisiers. Et c’est la fin de journée, j’veux m’asseoir. Et j’veux que le nom de ce refuge apparaisse enfin pour m’ôter d’un doute injustifié. « T’as pas loupé un truc ? »

Ça fait des kilomètres que j’erre sur cette piste, et il y en a encore pour au moins 8 bornes. Le chemin est trop plat, je n’arrive pas à relancer. Je suis au cœur de la station de ski des Portes du Soleil. C’est pas le plus beau coin du monde, même si, en Suisse, la montagne est mieux respectée pour ce qui est de son aménagement. En tout cas ici oui. L’herbe domine sur l’empreinte de l’homme et son industrie.

C’est la fin de la journée, ma tête n’a plus vraiment envie d’être là, d’apporter son soutien à la charpente qui, elle, doit encore fournir des efforts pour faire avancer le tout.

Pour éviter d’exploser mentalement, comme je l’ai dit, je commence à me connaître, donc je désamorce ! Quand je sens que l’impatience gagne du terrain, que le négatif envahit toutes les zones de mon cerveau, je sors de mon dialogue intérieur et tape la discute avec le premier venu. Heureusement que cette spirale autodestructrice survient dans un coin où y’a des gens !

Un paysan a la chance d’être sur mon chemin. Ou plutôt, c’est moi qui ai de la chance. Bon, Manon, t’es en suisse, adapte ton vocabulaire. Plus de refuge, que des cabanes. Je rajoute les mots et expressions « fais seulement », « incroyable » et « tout de bon » partout. Je passe à peu près inaperçue !

Comme toujours, on parle de tout et de rien, de banalités, de sujets simples. Je lui parle de ses veaux, des alpages et fermes aux alentours. Je lui dis où je vais, espérant entendre : « oh c’est juste là, derrière la colline, à même pas un kilomètre ». Non. Il me regarde avec de grands yeux et me dit qu’il me reste encore au moins une heure et demie de marche ! Au fond de moi, je me dis que j’y serai comme d’hab en 45min maximum. Mais non, je mettrai bien une heure et demie… Ahhhh mon égo reprend un coup ! Y’a pas que les panneaux qui sont cruels ici, les paysans également !

Il a la gentillesse de me montrer un sentier qui va raccourcir la montée. Je dis pas non ! En plus, c’est un sentier qui grimpe bien, mon péché mignon, je saute sur l’occasion ! Mais une fois cette géniale portion achevée, je retrouve la piste, en mal plat. Mais merci pour ce moment monsieur, un peu de baume au cœur ! Prenez le temps de discuter avec les braves gens. Derrière leurs allures parfois « sauvages » se cache toujours un océan de tendresse, de bienveillance et de gentillesse.

J’affectionne terriblement ces petites parenthèses. Fréquemment, en pleine montée, croisant d’autres randonneurs, j’interromps mon ascension pour m’intéresser à ce bonhomme, à cette bonne femme ou à ce groupe, pour savoir ce qu’ils font, où ils vont, d’où ils viennent. Si ça roule bien pour eux ! Je sais que relancer l’ascension me piquera péniblement les jambes mais ce ne sera que passager. Je refuse de me priver de ces quelques secondes/minutes qui ne se représenteront jamais.

Pareillement pour les instants contemplatifs. L’aiguille de la montre tourne et je me situe hors du temps, à voyager sur chaque sommet qui se dresse autour de moi. A observer chacune de ses formes, délimiter l’espace qu’elles occupent. A rêver. Le temps avance, la terre tourne, mais mon monde est immobile. Le temps, le temps. Prenez-le, il disparait si vite.

Les Portes du Soleil

Le mental toujours un peu fragile et n’éprouvant plus énormément de plaisir à marcher, j’ai le belle surprise d’enfin voir le nom du refuge sur un panneau, 500m avant l’arrivée. Tout va mieux d’un coup ! Je me surprends même à trottiner sur la fin. C’est l’hôpital qui se fout de la charité Manon ? T’étais en train de régler les derniers détails de tes funérailles il y a deux minutes et là tu lances un « sprint » ! Comme quoi…ça tient à pas grand-chose là-dedans !

La journée est terminée. L’avant-dernière étape est bouclée. Je peux m’asseoir. Je peux me reposer.

J’ai le privilège d’être la seule attendue ce soir. Après une bonne douche, je commande une bière locale et une part de ce gâteau qui me fait de l’œil depuis que je suis entrée dans le refuge. Protégé par une cloche, il gagne en grandeur, attire le regard, soulève la curiosité. Il illumine à lui seul la pièce. La salée. La spécialité du coin. Incroyable. Extraordinaire même. C’était une salée revisitée ici en l’occurrence. Une base briochée, un coulis de fruits rouges et une sorte de crumble à la cannelle. Merveilleux. Une si belle douceur après une si dure fin d’étape. Mes péripéties se sont envolées avec les dernières miettes.

Courir plus, marcher plus, pour manger plus. Voilà ma devise, ma philosophie. D’un naturel extrêmement gourmand, faut bien que je compense ! Parce-que oui, j’ai passé sous silence mes braquages en boulangerie des jours anciens. Beaucoup de victime encore une fois sur mon chemin, mais pour servir une noble cause. Et des victimes toujours dégustées avec respect. J’y tiens.

En parallèle, je passe un très bon moment avec Samuel, le jeune gardien et l’une de ses amies venue lui prêter main forte. Je découvre l’esprit suisse, une façon d’être et de penser différente.

Je me pose un long moment face au lac. C’est un moment particulier. C’est ma dernière soirée en refuge. Et je m’y retrouve seule. Seule alors que le matin même j’ai quitté un merveilleux groupe. Je n’ai personne avec qui partager ma journée. Personne avec qui tisser des liens. Personne à découvrir. Samuel !!! Viens discuter avec moi s’te plaît ! Je me pose à l’intérieur du refuge pour discuter un peu donc. Je rencontre également le papa de Samuel, le berger à la tête du gros troupeau d’au moins 700 moutons qui pâturent sur le flanc opposé de la montagne du Lac de Chésery.

J’ai le privilège de manger un repas fait de A à Z par Samuel. Une première pour lui. On me prend pour un cobaye… Y’a qu’une personne ce soir, si elle disparait, personne ne s’en rendra compte… C’était excellent. Bon, sous réserve. Après une bien longue journée, je trouverai bien tout incroyablement délicieux. Non, sincèrement, c’était vraiment bon !

Epuisée, je vais me coucher sur les coups de 20h30. Je m’impose un réveil à 6h30 pour arriver le moins tard possible demain. Samuel a l’incroyable gentillesse de se plier aux exigences de ses visiteurs. Merci infiniment pour ça.

Lac de Chésery, ou Lac Vert

Infos pratiques du jour 3 :

Point balisage : on atteint la perfection. Tout s’est déroulé sans le moindre recours à la carte.

Point ravito : côté français, on passe dans Samoëns. Il faut faire un détour de 500m et donc 1km aller-retour pour se retrouver dans le centre et trouver des commerces. Ensuite, c’est tout. Avant le Col de Coux, il est possible de faire un détour de 30min pour descendre sur le Refuge de Chardonnière et se ravitailler mais ça rajoute quand même de la distance. Après, côté suisse, il y a plein d’auberges ! Au moins 4 sur les 10km parcourus. Et elles étaient toutes ouvertes !

Pour l’eau, côté français c’est limité. Mis à part aux mêmes endroits que les ravitos solides, y’a rien. Côté suisse, il y a beaucoup de bachals. Et comme on passe dans de nombreux alpages, l’eau y est bien potable.

 

Jeudi 10 Septembre 2020 :

Chésery -> St Gingolph

(39,3km – 1731d+)

 

C’est la dernière journée. Déjà. Ça passe à une vitesse. Bon sauf les dix derniers kilomètres hier oui d’accord…

Heureusement que j’ai mis le réveil sinon je dormirai encore. Devant mon petit déjeuner à 6h30, je goute à toutes les confitures étalées devant moi. C’est le repas le plus important !

Je fais mes adieux à Samuel et son papa et les remercie grandement de leur accueil.

Il est 7h, je m’élance. Mes états d’âmes de la veille ne sont plus qu’un vague souvenir. Même pas mauvais. Je suis on ne peut plus heureuse. Le lever de soleil est magnifique et illumine somptueusement les sommets aux alentours. Seule dans cette immensité. Seule à assister, d’ici, à ce spectacle offert par la nature. Eternelle chanceuse.

Je quitte le lac de Chésery, une flaque d’eau en comparaison à l’endroit où je serai dans quelques heures, le lac Léman. J’ai tellement hâte. Envahie d’une puissante impatience, je débaroule dans la montagne, sans oublier de me remplir les yeux de ces panoramas merveilleux.

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Je vous passe les détails des premières heures de cette journée magnifique, rien d’exceptionnel mis à part le paradis dans lequel je me trouve. Je passe également sous silence mon second petit déjeuner à la Chapelle d’Abondance…et je vous retrouve au Pas de la Bosse (1816m), lieu auquel je repense instantanément lorsque j’évoque cette deuxième traversée.

Au pied des Cornettes de Bise, je découvre devant moi, au même niveau mais séparé par une descente et une remontée, au Nord/Nord-Ouest, le dernier col. Il se dessine merveilleusement bien dans la montagne. J’admire tous ses lacets. Il est magnifique. La photo est incroyable. Le bonheur procuré par cette vue est indescriptible. Il faut le vivre pour le saisir réellement. Il est imaginable. Mais il est tellement bon à vivre.

Le dernier col…. (à droite)

Une banane de l’espace se dessine sur mon visage, déjà beaucoup trop heureux depuis le début de la journée. Rien ne viendra entacher cette dernière étape. Explosion de joie. J’en ai à revendre aujourd’hui et en sème partout sur mon chemin, notamment auprès de ces personnes qui semblent ressentir mes maux de la veille. J’ai envie de leur dire que ce n’est rien, que ce n’est que passager. Mais je me mets à leur place et recevoir ces paroles me ferait éclater. Alors je me contente de leur offrir un sourire rempli de compassion et d’encouragement. Sans user de parole, juste un regard. Un regard envoie souvent ce qui est simplement nécessaire et parfois même bien plus. Un langage universel, sincère, qui dit tout.

Le dernier col dont je vous parle n’est d’autre que le Col de Bise. Pour l’atteindre, je redescends tranquillement vers le Refuge de Bise à 1502m. Une fois au cœur du vallon, j’ai la merveilleuse idée de gravir ce col hyper vite. Ne prônant pas cette façon de visiter la montagne habituellement, j’aime quand même quelquefois, tout donner. Surtout quand c’est la fin. Quand c’est le dernier col. Quand c’est la dernière montée.

A cela, j’ajoute l’envie fugace de doubler tous ceux qui sont déjà en train de réaliser l’ascension. Quand une envie nous vient, ne jamais la réprimer ! La seule pensée de me lancer ce dernier défi me distribue encore plus de joie et me réjouit. Pouah, mais c’est génial.

Je dévore la montée, accompagnée de cette délicieuse croyance incertaine : « de là-haut, je verrai le lac ». 100+, 200+, 300+, 400d+. Mon cœur tambourine jusque dans mes doigts, mon souffle résonne probablement jusqu’aux Chapelles, le goût du sang s’immisce tout doucement dans ma bouche. Ces trois éléments sont la recette d’un effort réussi et merveilleusement satisfaisant. Et aussi parce qu’une fois arrivée au Col, tout redescend illico. Tous les efforts sont instantanément oubliés. On dirait que j’suis fraîche.

Impatiente, je jette directement mes yeux au Nord. Et il est là. C’est juste complétement dingue. Le sentiment éprouvé il y a une petite heure sur le Pas est multiplié mille fois ici. Je suis traversée d’une douce et apaisante tempête émotionnelle, d’un tourbillon de joie, d’une pluie de gaieté. Ivre de bonheur. En extase devant cette vue. A l’apogée de mon enchantement.

Le cadeau, le Lac Léman

Eprouver quelque chose de si rare, entourée de randonneurs qui ne peuvent comprendre, ne se doutant même pas de la raison de notre présence ici, c’est trop bien. D’être à côté d’eux mais à la fois à des années lumières. Egoïstement, je me réjouis d’avoir pour moi seule ce moment si unique et précieux.

Le but final de ma traversée se dresse devant moi. Je peux presque le toucher.

Soulagement intérieur, je ne me suis pas trompée de chemin depuis quatre jours. A moins que ce ne soit le Lac Serre-Ponçon….

Soulagement de voir que l’effort est récompensé. Heureuse de voir que la fin se rapproche à grand pas. Une vraie fin.

Lors de la précédente traversée, l’arrivée à Barcelonnette représentait certes la fin de mon voyage, de mes 6 jours de balade, mais en soi, ce n’était pas la fin du GR. C’était une fin personnelle mais pas une fin instituée et reconnue du peuple. J’étais seule à m’arrêter là, les autres continuaient ou n’empruntaient même pas cet itinéraire, hors GR. Barcelo était belle et agréable. Vivante et accueillante. Mais ne représentait rien à l’échelle du monde de la montagne. Quand tu arrives à Nice, à la fin de ton GR5, tu n’as plus de chemin à poursuivre, c’est la mer devant toi. Quand tu arrives à Barcelo. Tu arrives à Barcelo et tu peux continuer encore bien loin. Y’a pas une pancarte qui te dit Bravo ! Ce n’est la fin de rien, ni le début de quelque chose. Barcelo, c’est Montargis dans le Loiret. Tu y arrives, t’es content. T’as fini ton périple. Mais rien ne t’attend.

Là, aujourd’hui, ce lac Léman constitue une « vraie » arrivée pour moi. J’peux pas traverser le lac en courant. J’arrive face à un mur invisible. Et ça claque vraiment. C’est une magnifique ligne d’arrivée.

L’approche et l’entrée dans St Gingolph est formidablement magique. Traverser le patelin, le descendre de haut en bas, voyant le rivage se rapprocher de plus en plus. Tourner dans les ruelles étroites, admirer ses maisons colorées, puis arriver brutalement sur le quai. Voir tout ce qui nous cloisonnait se dégager de notre champ de vision pour être envahit d’un océan de bleu. Le ciel sans nuage, le lac sans bateau.

Le lac se dessine devant moi, à mes pieds. Bouche bée, je m’arrête. Mon univers qui était jusque-là bercé par le vacarme de mes pas et le bruit de mon souffle, plonge dans un profond silence. Tout s’arrête. Je n’entends plus rien. Soudain, je tourne la tête à gauche, attirée par un discret clapotement de l’eau. Et je perçois « l’arrivée » (qui est le départ en vérité…) officielle de mon voyage. L’arche du GR5 signant le début de la traversée des Alpes se dresse devant moi. Symboliquement, je la franchis. Boh, il ne se passe pas grand-chose mais c’est fait si on m’demande quand je montrerai la photo !

Je m’assois juste à côté de l’arche, face au lac, pour l’admirer et pour tenter de comprendre ce qu’il vient de se passer, ce qu’il s’est passé pour que je sois là, à cet instant. « T’es venu à pied de chez toi punaise… »

Ivre de bonheur, je regarde bêtement l’eau du lac et ses ondulations. Un nouveau sourire se dessine sur mon visage. Mais il a une nouvelle signification. « J’y suis ».

Je suis partie il y seulement quatre jours. C’était il y a des années. Coupée du monde, de l’autre réalité, l’évasion dans laquelle mon corps et mon esprit ont été plongés a accompli son merveilleux effet. L’oubli du temps. L’oubli de la vanité. La mise en lumière de l’essentiel. De mon essentiel. Visionner le film de ma propre vie au fil des kilomètres. Spectatrice et actrice de ce voyage intérieur en extérieur. Loin de toute trace de familiarité, de connaissance et de repère, je me suis rencontrée.

Pour plus de précisions, sur le parcours, les ressources, la préparation, n’hésitez surtout pas à me contacter ! Comme d’habitude, c’est un plaisir d’échanger !

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