TOR des Géants 2024
360km – 25 000+ – 127h31min

 

J’écris ce récit de course 2 mois plus tard. 2 mois après avoir franchi la ligne d’arrivée. Tout est encore si frais, si réel. Ancré. Mais pourquoi si tard ? Parce qu’après la course, on est parti sur nos vélos rejoindre le Mont Ida (2456m), le sommet de la Crète, depuis notre maison, soit 3 000km et 25 000+ plus loin. Rien de mieux pour récupérer !

Dimanche 8 septembre 2024

10h. Courmayeur (1224m). Le départ est donné. Nous sommes plus de 1 000 à prendre le départ de cette aventure mythique. Tous avec le même rêve, la même envie.

Le stress et le nœud dans mon ventre présents depuis plus de deux heures, disparaissent enfin. Mon corps et mon esprit se détendent. Ça y est, j’y suis, le chronomètre est lancé. Je me sens terriblement bien. Avec Adam, on se sent en forme. Ça fait deux mois qu’on fait du jus avec notre travail d’accompagnateur en montagne.

Juste avant le départ, j’ai recroisé des copains de la Swiss Peak 360 de 2021. Ça fait plaisir. 3 ans plus tard, on a toujours des bonnes idées !

 

 

Premier tronçon : 52km – 4000+

On commence sous de petites gouttes. Puis ça s’intensifie bien comme il faut jusqu’au col ARP (2 567m). Le peloton est bien dense, ça bouchonne un peu sur les premiers kilomètres mais ça s’étale bien après la première descente. On se caille un peu dans la montée, on s’habille vite et bien à partir de 1500m d’altitude. Ça annonce bien la couleur…

L’ambiance est assez folle en ce début de course. Enormément d’encouragements, et ce, partout dans la montagne, même avec cette météo capricieuse et tout sauf estivale.

 

 

On arrive à La Thuile (1456m), vers 14h, après une longue descente (en fait, je ne m’en rends pas encore compte, mais il n’y aura que des looooongues descentes et des looooongues montées en fin de compte). On s’est bien caillés là-haut donc on prend le temps au ravito de manger chaud, de boire chaud, et de faire sécher vite fait la goretex. On repart une vingtaine de minutes plus tard, en direction des cascades du Ruitor et du Refuge Deffeyes (2496m). La pluie s’est un peu calmée et a laissé sa place à une douce brume et un vent frais. J’espère faire sécher mon coupe-vent, mais c’est peine perdue pour lui. L’ascension est simple, régulière. On ne crame pas de cartouche. Les coureurs se sont bien dispatchés dans la montagne, c’est parfait.

Au refuge, je repars un peu avant Adam, tout doux. J’ai beaucoup trop froid à l’attendre. Nous arrivons en haut du Col Passo Alto (2856m) vers 16/17h. La descente est technique sur les blocs rocheux. Adam se fait une belle cheville. Mais on a la chance de voir le paysage se découvrir, les nuages disparaissent. C’est grandiose.

 

 

Pour le moment, avec Adam, on est en terrain connu, c’est facile de gérer l’effort et se préparer à ce qui arrive. On se boit une bonne soupe chaude au ravito du Bivacco Zappelli (2273m) avant d’attaquer la montée du Col de la Crosatie (2822m). Ça rebouchonne un peu à la fin dans la partie technique, mais qu’importe, on n’est pas pressés et la sécurité passe avant tout. Les derniers mètres sont assez escarpés, il y a des cordes, et du gaz.

En haut du col, vers 20h, la nuit commence à sa vautrer. On met la frontale et on entame la looongue descente sur la base de vie de Valgrisenche (1692m). La pluie fait son grand retour et compte bien nous le faire savoir. Ça tombe assez fort. C’est parti pour une soirée et une nuit de folie !!

Bien évidemment, on arrive trempés à la base. On retrouve mes parents. Il est 22/23h. Ils n’ont malheureusement pas le droit de nous accompagner à l’intérieur des bases. On prend le temps de discuter un peu, mais il fait froid dehors. On entre dans la base de vie. Du monde partout, du bruit, c’est le bordel. On se trouve un petit coin pour se changer intégralement (hormis les chaussettes pour moi, petite erreur que je vais payer plus tard) et s’habiller pour la nuit. Collant, surpantalon, manche-longue, coupe-vent, goretex. Pour la fashion Week on repassera. La météo devrait s’améliorer vers 1 ou 2h du matin. Nous n’avons pas sommeil et n’avions de toute façon pas prévu de dormir lors de la première nuit.  On se fait un bon repas, un bon café, et on repart vers minuit/une heure du matin. On est content ! La pluie n’affecte pas le moral !

 

Deuxième tronçon : 61km – 5300+ (totaux : 113km – 9300+)

Lundi 9 septembre.

On entame la montée pour le Refuge de l’Epée (2369m). On est bien, pas froid, pas de pluie, pas sommeil. Faut dire que ça fait deux mois que je ne bois plus de café, et je ne bois pas de thé chez moi. Donc combiner les deux depuis aujourd’hui, ça fait son effet ! Et c’est assez satisfaisant. J’appréhendais cette première nuit, en souvenir de la première sur la Swiss Peaks 2021. Eh bien, on peut dire que c’est le jour et la nuit ! Haha !

Au refuge, on boit chaud, on vide les cailloux dans nos chaussures. Je tente leur boisson énergétique. J’aime vivre avec le risque. Ça me fait penser au goût de la Maxim, une boisson qu’on mettait dans nos bidons quand on faisait du ski de fond avec Pépé et Mémé quand on était petit. Une bonne dose d’énergie et de souvenir à chaque gorgée !

On continue vers le Col Fenêtre (2843m). On en passe du temps en altitude depuis ce début de course. En plus on a une belle brume et un bon petit vent pour nous faciliter la tâche.

La descente du col est assez dantesque. Elle me laisse un bon souvenir. Très raide, un peu technique par moment et boueuse. Mais surtout beaucoup trop raide. On progresse en retenue constamment. Dans quelques heures, on l’apercevra de loin, derrière nous, et on comprendra bien pourquoi elle a un peu piqué ! Un mur.

On arrive à Rhèmes-Notre-Dame (1732m) vers 5/6h du matin. On retrouve mes parents ! Tout va bien. Le moral est joyeux, le corps ne souffre pas. La nuit n’a pas fait trop de dégâts. On mange chaud, soupe de pates. D’un coup, un coureur qui était assis sur le banc voisin s’effondre au sol. Le staff médical gère. 10 min plus tard, tout va bien, il est de nouveau assis à manger son plat. Tout est normal. C’est l’ultra !

 

 

On repart dans la nuit avec Adam. Je connais la montée au col d’Entrelor (3004m). Elle va être loooongue ! Mais je la segmente dans ma tête. Ça passe beaucoup plus vite, étape par étape. Comme pour cette course.

C’est le froid qui est rude là-haut, en ce début de journée. A 2500m, en pleine ascension, je me couvre de quatre couches, de mon bonnet, mon buff et mes gants. On est exposés ouest, il y a du vent, il est 7h. On lutte. Je prie intérieurement pour que rien ne nous pousse à nous arrêter. Ne plus bouger, c’est geler. En haut du col, j’ai froid. Au loin, sur notre chemin de descente, on aperçoit deux lacs, au soleil. C’est à environ 30min de notre position. Je me languis d’avance, imagine ces quelques rayons sur mes joues, la douceur de leur chaleur…mais nous n’aurons pas droit à ce plaisir. Les nuages nous voleront ce luxe. J’suis verte. Ou bleue.

 

 

Ce n’est que 500m de dénivelé plus bas que nous auront droit aux premiers rayons sur notre peau. Il n’y a pas meilleure sensation. J’en profite pour enfin m’arrêter faire pipi.

On continue notre descente et arrivons au ravitaillement d’Eaux Rousses (1678m) vers 11h. On a décidé d’y dormir un peu avec Adam, on commence à voir des visages sur chaque caillou qu’on croise. C’est un beau signe annonciateur que le corps et l’esprit ont besoin d’un petit break. Et c’est bien chiant parce-que y’a quand même beaucoup de cailloux et ça fait beaucoup de tronches ! De plus, un gros morceau nous attend ensuite, au moins quatre heures d’ascension.

On retrouve ma famille et celle d’Adam, ça fait comme toujours un bien fou. Mon père nous gonfle deux matelas et on s’installe dans le mini-dortoir qui est plein. On se met d’accord sur deux heures de sommeil. De 11 à 13h.

Ces deux heures ont été un peu un gros bordel pour moi. Je me pose, m’allonge, mets mes écouteurs avec des musiques calmes pour camoufler le bruit de fond du dortoir mais aussi pour tenter de canaliser mon cerveau, hyperactif. Je ne parviens pas à le poser, le ralentir. Des images défilent. Sans aucun sens. Sans aucun lien. Une incohérence totale. J’ai mis une playlist de piano. Et à chaque note, l’image dans ma tête change. Je passe du JT de 20h à une balançoire, d’une vague à Bernard Tapis, d’une pelouse à un lapin qui court. Vraiment n’importe quoi. Mais c’est incontrôlable. Je crois que j’arrive à m’assoupir un peu car je me réveille à quatre reprises en sursaut. Je me lève 10min avant le réveil, comme Adam. Malgré tout je me sens reposée et prête pour la suite.

On mange un bout puis on reprend la route pour le point culminant de la course, le Col Loson (3294m). L’ascension nous prend 4 heures. 12km et 1600+. Sur le chemin, on croise Jean-Louis, un Français, avec qui on discute une bonne demi-heure. Puis on se distance, on se reverra bien ! On évolue au cœur du Parc National du Grand Paradis. L’espace est immense. Un torrent coupe le vallon que nous remontons en deux. D’un côté, nous, traileurs, de l’autre, des centaines de bouquetins. Incroyable !

L’ascension est éprouvante. Extrêmement venteuse. 500m sous le sommet, on met les doudounes, gants, bonnets et surpantalon. Les derniers 300m de dénivelé sont rudes. Le terrain est difficile, instable, le froid saisissant et l’altitude se fait ressentir. Mais pas à pas, nous y sommes. Vers 18h, nous passons le col et basculons dans une autre vallée. Tout est si grand ici. C’est fantastique. Malgré la difficulté, qu’est ce que je me régale et suis heureuse d’être ici ! On découvre des endroits merveilleux. On a la chance de pouvoir les enchainer, d’aller de vallon en vallon en passant pas des cols magnifiques. On est surtout fier d’être capable de le faire.

 

 

On descend sur le refuge Vittorio Sella (2584m). Juste avant d’y arriver, je suis prise d’une violente douleur au talon droit. Impossible de poser le pied sur dix appuis. Je boîte. Puis plus rien. Je flippe un peu mais je ne dis rien à Adam. Les douleurs d’ultra. Ça va ça vient.

On mange au refuge. Soupe de pates chaudes. Café. Gâteaux. Puis on continue la descente sur Cogne (1536m), la deuxième base de vie. C’est beau, c’est chouette. Pas trop technique. La nuit tombe 30min avant notre arrivée à la base de vie, ce qui nous oblige à sortir les frontales. Il est 21h, on retrouve mes parents. On file prendre une douche et se faire masser pour détendre un peu les muscles. Je passe aussi à la pédicure, car le fait de ne pas avoir changé mes chaussettes à la première base m’a permis d’avoir une belle ampoule au gros orteil gauche. C’est long, ils mettent 1h à tout faire et me mettent beaucoup trop de strap. J’étais à moitié endormie sur la table, les somnolences ont saisi l’occasion de venir me saluer. Ça m’embête car on n’a pas prévu de dormir. Une fois tout ça fait, je mange une assiette de riz et me charge en café. On repart vers 23 heures.

 

 

Troisième tronçon : 47km – 2700+ (totaux 160km – 12000+)

Quand tu crois que y’aura jamais plus long et plus interminable, et bah les Italiens ils ont pensé à tout t’inquiètes. Ils trouvent toujours plus long à te proposer !

Mardi 10 septembre.

L’ascension de la Finestra di Champorcher (2826m). 14km et 1300+. Pas raide. Très long. En plus, en pleine nuit, tu comprends rien où tu vas. Y’a plus tant de traileurs à la ronde donc pour t’orienter la nuit c’est…suis les fanions et tu verras ! T’es totalement désorienté. Quand tu crois que ça monte parce-que y’a plus de lumière de frontales ou de fanions, et bien, calme-toi, c’est juste qu’il y a un petit plat derrière et après, ça regrimpe ! Par contre, évite de confondre les frontales avec les étoiles. C’est pas bon pour le moral d’imaginer monter à 4000m.

La nuit est bien froide et nous sommes sur un large plateau humide. On a notre tenue habituelle des grands froids. Je ne sais pas si le short va continuer d’être affiché la journée ! J’pense qu’il ne va pas tarder à croupir au fin fond de mon sac d’allégement.

Pour gérer la durée de la course, je ne me focalise que sur les jours. On est dans la nuit de lundi à mardi. On est mardi. J’ai, enfin, on a prévu d’arriver vendredi dans la journée. Donc il ne reste plus qu’à passer mardi, mercredi, et jeudi. Vendredi ça compte pas. Qu’importe l’heure, ce sera le jour de l’arrivée. De la fête. Même si tous les jours sont une fête ici. L’aventure que l’on vit est si riche, si forte, si intense. Il est dur de retransmettre ce que l’on ressent véritablement. C’est trop unique, trop personnel. Ça se vit. Et p***** que c’est beau ! Enfin bref, cette façon d’avancer dans la course, de penser seulement aux jours qui passent, a bien marché et m’a aidé à être sereine. Ne pas voir la finalité. Avancer étape par étape.

Oh tiens, le talon. D’un coup, la douleur réapparait. Pour environ 10/15 appuis, ça me déchire et m’envoie de grosses décharges. Puis plus rien. Magique. Ce sera sa dernière apparition.

Les 500 derniers mètres d’ascension sont difficiles pour moi. Il est 3h. J’ai sommeil et froid. C’est pas un super bon mélange. Et j’ai toujours ce cerveau hyperactif. Sauf que ce ne sont plus des images qu’il me balance mais une discussion qu’il se fait. C’est comme ça qu’on devient fou ? J’ai des questions qui fusent, qui viennent de je ne sais où au fond de ma tête, et moi, bah j’y réponds. Mon cerveau dialogue seul. Enfin, il crée une conversation entre je ne sais qui qui me balance des questions insensées et moi qui essaye de rester lucide mais qui répond quand même. Je pense que ça dure bien une heure. Je divague ainsi jusqu’à rejoindre le col. Enfin !

Adam a aussi sommeil. Lui parler et entamer la descente me sort un peu de ma folie. Quoique… Je commence à voir des tableaux peints sur chaque caillou plat. Mais des beaux hein, un peu religieux aussi. Puis je vois des vierges, sur le sommet de chaque pierre. Faut vraiment que je dorme.

Je glisse sur une pierre lors de la traversée d’un ruisseau. J’ai les fesses mouillées. Parfait par ce temps ! Je me plante aussi un beau caillou dans la hanche, ça me vaudra un beau bleu. Je ne comprends pas pourquoi je suis tombée. En inspectant la scène du crime, on s’aperçoit que toutes les pierres sont gelées. Ah bah oui…avec ce froid. Je me disais bien que l’herbe croustillait un peu sous mes pieds tout à l’heure.

On rejoint le refuge Del Misérin (2582m). En théorie, on ne peut pas y dormir. C’est réservé pour les coureurs du TOR des Glaciers. Mais les gardiens nous accordent le droit d’y dormir. Ni une ni deux, on monte dans le dortoir. Je mets mes boule quies et m’endors instantanément. On dort 1h20. Qu’est ce que ça m’a fait du bien ! J’ai l’impression qu’on a appuyé sur un bouton ON/OFF.

Il est 6h, on boit un café, et on repart à la frontale. Le jour se lève et nous offre un magnifique spectacle, de très belles couleurs. On commence bien cette 3e journée sur le TOR. On en est à 45h de course. Une descente de 30km et 2100- nous attend jusqu’à la 3e base de vie (Donnas). Cette partie est un peu le point que je redoute. Ça peut miner le moral, lasser. Mais on se motive avec cette idée : ce sera la mi-course en bas, c’est le moment où on enclenche le demi-tour pour retourner à Courmayeur. On remonte vers le nord pour ensuite tirer vers l’ouest à fond les balles !

 

 

On arrive à Donnas (322m) vers 13h. Les 30km se sont bien passés, on a bien trottiné.

Le contraste est saisissant. Cette nuit, je me pétais la gueule sur une plaque de verglas et là je cherche l’ombre et les fontaines pour lutter contre la chaleur étouffante de ce fond de vallée. On est passé de 2800m d’altitude à 300… J’ai aussi hâte de retirer la tonne de strap qu’on m’a mis. Je me le ferai moi-même.

On retrouve toute la famille. Ils nous accueillent avec deux pizzas. On les éclate. C’est génial ! On se change. Pas de douche. Pas de dodos. On repart vers 14h30. En short s’il vous plait !

 

 

 

Quatrième tronçon : 62km – 6 000+ (totaux 222km – 18 000+)

On se prend une première bosse bien raide dans la tronche, à base d’escaliers sur quasi tous les 800m de dénivelé. On recroise Jean-Louis. Il a un peu une sale tronche. Il cherche un coin pour roupiller un peu. On le laisse, on ne le reverra pas jusqu’à la ligne d’arrivée.

Après le ravitaillement de Perloz (648m), on se tape encore un KV. Mais pas qu’un, un double ! L’effort est assez difficile. J’ai mes forces qui en profitent pour m’abandonner un peu. A la moitié de l’ascension environ, j’ai un rythme d’escargot. Je ne crois même pas tenir les 400m/h. J’ai chaud, j’ai sommeil, j’ai la tête qui flanche, ça commence à être flou et ralenti autour de moi. Je ne le sais que trop bien, c’est le manque de sommeil qui fait un retour fulgurant. C’est vrai qu’en fin de compte, le seul vrai sommeil que j’ai eu, c’est « cette nuit », avec 1h20 d’endormissement profond. Pour ce qui était des 2h à Eaux-Rousses, elles n’étaient pas tant satisfaisantes et efficaces. Donc c’est vrai qu’au bout de 55h, avec seulement 1h20 de vrai bon repos, ça peut faire divaguer là-haut. J’ai du mal à gérer les somnolences qui m’assaillent fourbement dans cette montée.

Il est environ 19h, on s’arrête un petit moment avec Adam, sur un parapet. J’essaye d’appeler mon frère pour me changer les idées, mais je tombe sur la messagerie. Je mange un petit bout, je bois. On se remet en route. 2min après notre remise en route, je n’ai aucun souvenir de notre pause, seulement un vague souvenir que je pense même imaginer. Je demande à Adam si on vient bien de s’arrêter, il m’affirme que oui, mais pour moi c’est un grand flou. Je ne me souviens même plus avoir essayé d’appeler mon frère. Complétement perdue la meuf ! Je me souviens avoir lu un message de mes parents, me disant qu’ils nous attendaient en haut de la montée. Alors que non, c’est tout écrit sauf ça, ils nous attendent à Niel, qui est bien loin, et on y sera que demain en début d’après-midi. Donc j’avance, persuadée de les retrouver en haut.

On arrive au ravito de La Sassa (1439m). Juste avant, j’entends mes parents dans la foule autour du ravitaillement. Ça fait même 5 bonnes minutes que je les entends, sur ce petit sentier forestier. Mais quand j’arrive au ravito, ils ne sont pas là. Etonnant ! Tous ces éléments, ces hallucinations auditives, ces brèves amnésies, me font un peu paniquer, je n’arrive pas du tout à gérer. Je me fais bipper puis je me jette au sol, dans l’herbe. Mon cœur bat fort. Trop fort pour ma faible allure. Tout résonne dans ma tête, les gens qui parlent, le bruit des fourchettes contre les bols, le bip pour checker les traileurs…c’est l’horreur dans ma tête. J’ai des larmes qui coulent, incontrôlables.  J’entends mon cœur battre partout dans mon corps. Ça prend un moment avant de se calmer un petit peu. Adam vient m’épauler. Il me porte une soupe de pates. Puis on décide d’aller faire une petite sieste, à l’écart du ravito trop bruyant, sur une terrasse de chalet. On s’habille en long. On se dit 20min. Adam s’endort sans problème. Je l’envie ! Moi, je n’y parviens pas. Le sol est glacé. C’est du béton. Mais je parviens à ralentir mon cœur et à me remettre les idées en ordre. Cette coupure m’apaise, je reprends le contrôle.

On reprend le chemin de la montée. On allume les frontales. C’est le début de la troisième nuit. Demain c’est mercredi. Plus que jeudi et vendredi. Yes ! Oui oui, pour moi, mercredi est passé alors qu’il y reste bien encore 24h.

On croise un groupe de français qui à du s’unir pour la force. Ils sont 4 ou 5 je ne sais plus. On se croisera souvent cette nuit.

Notre but maintenant : arriver au refuge suivant et dormir au moins 2h. 700m de dénivelé nous en séparent. Même pas peur. En plus, la machine est relancée. Je suis décidée à garder le contrôle désormais et à ne jamais donner l’occasion à cette situation de revenir. J’allume la musique, monte le volume. Bonne humeur activée. J’appelle aussi mon frère, mon partenaire de SPT360 2021. Il est 21h30. Ça fait du bien.

 

 

On arrive au refuge Delfo E Agostino Coda (2252m). Ah bah si tiens, on recroise Jean-Louis sur la crête finale !

On atteint donc le refuge. Il est aussi synonyme de mi-parcours ! 175km/12500+ !

Et là, grosse déception. Ceux-ci, ils ne veulent pas qu’on dorme là. Ils réservent les places uniquement aux coureurs du TOR des glaciers. Nous allons donc dormir sous une pergola, dans le froid, assis sur des bancs, la tête sur le sac de trail. Ça me fait plutôt marrer mais ça m’énerve aussi un peu. Il est 23h30, on dort 30min. Je suis plutôt surprise au réveil, j’ai bien dormi, comme en témoigne la grosse trace de lanière de mon sac sur ma joue droite. On mange chaud. On remplit nos flasques de thé chaud et on les plaque dans les poches de nos doudounes pour se réchauffer. On espère aussi que les soudures des flasques sont prévues pour résister à ça.

On prend la direction de la descente sur le refuge del Lago Della Barma (2049m). Descente qui monte. Mais j’ai retrouvé ma forme, je suis contente. Adam commence à souffrir du releveur au pied gauche, ce qui le freine pas mal en descente. Mais pour le moment ça va. Ah au fait, on est mercredi.

Mercredi 11 septembre.

On arrive au refuge à 3h du matin. On a passé des sections où je pense qu’il ne fallait vraiment pas tomber et sortir du sentier. Comme sur toute la course en fin de compte…

Au refuge, faut faire la queue pour dormir. Pas assez de lit, beaucoup de monde. Bah oui, on était refusés avant… Notre tour est dans 45min… Mais on a trop sommeil, on doit stopper ici. Repartir ne serait vraiment pas bon pour nous. On va donc manger. Ensuite, on attend. Adam s’endort au sol. Moi j’essaye de régler le problème de mes écouteurs qui veulent plus marcher. C’est notre tour. Je réveille Adam et on va dans notre lit. On se dit 2h de sommeil.

 

 

Une heure plus tard, la bénévole vient nous réveiller. C’était pas dans le contrat ça on nous avait pas dit ! J’essaie de marchander. Mais elle est intraitable. Il y a du monde qui attend. Elle va réveiller Adam. Il tente de marchander comme moi, ça me fait rire. Force à elle pour cette tâche difficile !

On est un peu dégoutés d’avoir si peu dormi, mais c’est pareil pour tout le monde. On n’a vraiment pas pu se reposer comme on le souhaitait cette nuit. Il est 5h, on repart dans la nuit froide.

Le jour se lève. Nous arrivons au Col du Marmontana (2347m). Somptueux. Nous apercevons le Cervin, encore bien loin. Mais bientôt, nous serons quasiment à ses pieds.

La météo est belle ! Une bonne journée en perspective !

Nous descendons sur le ravito du Colle Della Vecchia (2195m), par un sentier très technique. Je suis devant en descente, bien inhabituel. Adam commence à douiller.

 

Au ravitaillement, j’ai le luxe qu’un bénévole attentionné m’offre une fourchette en inox fraichement lavée par ses soins dans le ruisseau glacial, plutôt « que ces machins en bambous » qu’il me dit. Je me régale de mes patates à la fontina cuites sur le feu de camp, à 8h du matin.

On repart pour Niel (1557m), où nous retrouverons mes parents. Dans cette descente, notre duo a deux faces, deux ambiances. Je pète le feu, Adam moins. Je l’attends souvent. Mais c’est le jeu, ça reviendra. La descente est interminable. Je ne sais pas combien de temps on y a passé. Le chemin n’est vraiment pas facile.

Je crois qu’on arrive vers 13h à Niel. On retrouve mes parents. On nous sert une polenta avec du ragout. Le bol doit peser 1kg. Je n’arrive même pas à en manger un dixième.

Je m’inquiète un peu de notre lenteur. C’est un peu frustrant de mon côté, où tout va bien. Je pourrais aller plus vite. Mais est-ce-que ça ne me couterait pas quelque-chose physiquement ?

On repart pour une belle ascension, un presque KV. On le gère plutôt bien. Quasi 800m/h. On atteint le Colle Lazoney (2394m). Il est magnifique. On le descend par un très large vallon, une immense prairie alpine. Après 210km de course, on reste toujours autant impressionnés par ces paysages.

300m plus bas, nous arrivons au ravito de Bleckene (2060m). Il nous offre une belle petite pause. On se régale de sandwichs raclette fraichement toastés. L’ambiance est joviale, au milieu des bergers.

On repart. L’air est frais dans ce vallon venteux mais on se remet à trottiner donc ça va !

 

 

Arrivés sur le plat, il nous reste un bon bout de bitume pour rejoindre la base de vie de Gressoney (1375m), la 4e ! On avance, on tient le bon bout ! On retrouve toute la clique et ça fait du bien. Comme d’hab, ils n’ont pas le droit de nous accompagner à l’intérieur. Ils nous attendent donc dehors sous les tentes. On file se doucher, on descend un paquet de céréales et on se fait aussi masser, je m’endors sur la table. Adam se fait poser un strap sur le releveur. Ensuite, on passe 20/30min avec nos anges gardiens. On refait nos sacs. On s’habille pour la nuit qui arrive. On repart vers 18h.

 

 

Cinquième tronçon : 34km – 3 000+ (totaux 256km – 21 000+)

On s’élance pour le Col Pinter (2781m). Je mets mes écouteurs. J’ai toujours peur que la tombée de la nuit fasse réapparaître des hallucinations, des somnolences…Alors un bon coup de Céline Dion et on s’en écarte !

L’ascension est longue mais plaisante. On traverse un troupeau d’Hérens. Pas sereinement mais on s’en sort ! La nuit tombe, le vent glacial arrive. On s’équipe. La même danse tous les soirs. Collant, surpantalon, manches longues, coupe-vent, goretex, doudoune, gants, buff, bonnet.

Je mène l’ascension. J’attends Adam au sommet, à l’abri du vent. On descend sur Champoluc (1575m). La descente est agréable, peu technique, pas cassante. Enfin c’est roulant ! Mais je sens que derrière, ça a du mal à suivre donc je ralentis et m’arrête souvent. Je pense à mon frère qui a supporté et subi mon allure sur les 360km et 127h de la Swiss Peak et le félicite de sa patience, de son calme. Parce-que mine de rien c’est pas toujours facile. Même si c’est ton mec derrière et qu’il va te demander en mariage sur la ligne d’arrivée dans deux jours.

Mais bon, on met le temps et on y arrive. A minuit, on est à Champoluc, ou on retrouve mes parents. Le ravito est dans un beau gymnase, chaud, et il y a un dortoir. Parfait, on rêve un peu de dormir. Mon père nous gonfle deux matelas et on file se coucher pour deux heures.

Jeudi 12 septembre.

 Mon père nous réveille à 2h. Je sors du dortoir avant Adam et commence à me préparer. Je vois Adam sortir. Enfin plutôt essayer. Il ne peut plus s’appuyer sur le pied gauche. Il boîte, enfin il cloche pied. Grosse déception. Pour lui surtout. Pour moi. Pour nous. Il n’y a pas d’autre option que celle de l’abandon. C’est impossible pour lui de continuer.

On n’avait pas envisagé cette option. Tout ce que je sais, c’est que j’ai aucune envie d’arrêter maintenant. Je suis trop bien. L’envie est omniprésente, je m’éclate sur cette course. J’ai qu’un but, voir la ligne d’arrivée. Je continue.

A 2h30 du matin, je repars seule dans la nuit froide. Il n’y a que ma frontale qui éclaire les fanions dans cet immensité noire. C’est bien la seule chose qui me fait peur. La solitude la nuit. Louper le chemin. Mais tout ça se dissipe vite. J’en suis capable seule. Il ne reste que 120km après tout. Un Lavaredo.

A 2h30, j’entame ma remontada dans le classement (bien que je n’en ai strictement rien à faire, mais ça fait toujours plaisir de voir qu’on est plus en forme que d’autres). Je mets mon rythme et suis le mien uniquement. Les ravitos sont plus expéditifs. J’ai moins froid.

J’atteins le col de Nannaz (2775m) vers 5h. En doudoune. Il neige de petits flocons. Petits flocons qui avec le vent, me fouettent agréablement les joues.

J’entame la descente minérale mais roulante. Je double de petits groupes et des solitaires. Je cours. J’adore. Je suis épanouie.

A 7h30, je suis à la 5e base de vie, celle de Valtournenche (1504m). La 5e bordel ! Plus qu’une !

Je retrouve mes parents et Adam. Un peu surpris de ma rapidité. Adam marche avec un bâton en guise de canne.

Je ne prends pas de douche, la flemme. Il fait froid et c’est un peu un labyrinthe cette base donc je me concentre à un endroit. Je me suis déjà perdue pour revenir des toilettes. Je me change, j’ose le short. Je mange bien, pates, soupes, pain, café. Je fais le plein de force.

 

 

Sixième tronçon : 54km – 4 700+ (totaux 310km – 25 700+)

Je repars. Il n’y a personne sur le chemin. De moins en moins de coureurs en course, et de plus en plus d’espace entre eux. Et quand tu passes d’un duo à un solo, y’a de quoi ressentir un peu l’isolement et la solitude.

J’appelle ma mère pour qu’elle me lave une paire de chaussette. Je crois bien ne plus en avoir une seule de propre.

J’arrive au refugio Jean Barmasse (2172m). Il fait froid. Je me suis emballée avec le short. Je remets le collant, enfile les manchons et coupe-vent. Je suis seule au ravito. J’ai pas croisé de coureur encore.

Je repars sur un sentier balcon avec le Cervin dans le dos. Cervin qui était si loin mercredi matin. Aujourd’hui, je le laisse derrière moi. Toujours seule, j’avance et atteins un autre ravito, celui de Vareton (2271m). Je me régale de voir enfin du monde. Je discute avec les bénévoles puis repars, il y a enfin d’autres coureurs au loin et derrière. La solitude était un peu dure en ce début de journée.

 

 

J’arrive à la Fenêtre du Tsan (2738m) vers 13h. L’ascension était longue, peu pentue. Assez interminable quoi quand tu ne cours pas. Et toujours ces rafales de vent glaciales.

La descente, contrairement à la montée, est très raide et technique. De plus, on croise un troupeau d’Hérens. Je choisis le hors sentier.

J’arrive au rifugio Lo Magià (1995m) vers 14h. J’ai de belles somnolences depuis 30min. Je choisis donc sans hésiter de filer au dortoir pour 20min. Je m’allonge. Rideau et bave instantanés. La sonnerie de mon réveil me tire du repos éternel dans lequel je m’étais retirée. Le réveil est dur. Plus longtemps ? Raisonnable ? Les somnolences se sont calmées. Je vais tenter. J’ai juste la tête dans le c**. Le réveil quoi.

Je vais manger. Ça a du mal à passer. J’ai pas réellement faim je crois. Je discute un peu avec un gars. Dans ma tête, la suite, jusqu’au col de Vessonaz était « rapide », 10km, mais pour le gars avec qui je discute, et qui a déjà fait la course, c’est plutôt long. On verra qui a raison.

Le regard vite sur mon bol de soupe, je décide de me lever et partir. C’est pas avec la plus grande des énergies que je m’élance, ni la plus grande vigilance, mais j’y vais ! Vaillamment !

Je rejoins le refuge Oratorio Di Cuney (2633m). J’ai froid. Le soleil commence à tomber. Je m’abrite du vent et de la température. Je grelotte. J’hésite entre deux diagnostics : début d’hypothermie ou d’hypoglycémie. Dans le doute, je gère les deux. Je me couvre et mange. Ma tête n’est pas glorieuse comme en témoigne la photo…

 

 

Je repars. Il doit être 15h30/16h. On évolue en balcon, en montagne russe, on zigzague dans la montagne. Pas assez de montées pour se réchauffer réellement. Les conditions ne sont vraiment pas faciles. Pourtant le ciel est bleu. Mais perchés depuis un moment à 2500m, et avec ce vent froid depuis 4jours, on est bien entamés. Pas mal de questions me traversent. Je suis seule. Si j’ai un pépin ? Si j’ai trop froid ?

J’arrive au Bivacco Rosaire Clermont (2704m), sous le col. Il est tout petit. Ça va qu’on n’est pas nombreux là-dedans. Je m’assois dans un coin, mange des pates chaudes et bois du thé. J’écoute les bénévoles parler en Italiens. Même si je ne comprends rien ça fait du bien. J’ai besoin de réchauffer mon corps et mon âme. Y’a un chinois à côté de moi qui tremble de tout son corps, et galère à ouvrir un sachet de boisson isotonique. Je ne suis pas la seule. Et y’a bien pire. Qu’il est bon d’être au chaud. Mais il faut s’extraire de ce confort et repartir, sinon ce sera de plus en plus compliqué. Emmitouflée, je grimpe les derniers 100m du Col de Vessonaz (2787m).

Au final, j’ai pas été si lente que ça. Mais j’ai souffert de la monotonie et de la solitude. J’aurais dû mettre de la musique. Et je pense que j’étais aussi trop impatiente. 10 km c’est pas grand-chose. Mais quand tu en as déjà 270 dans les pattes, c’est pas la même chanson ! On ne peut pas aller plus vite que la musique.

Je bascule donc dans une autre vallée. La météo de celle-ci n’arrange pas mes affaires. On va pas vers le beau, loin de là. Un immense nuage remonte la vallée, le vent souffle de plus en plus fort, ça pue la tempête de neige. Ça fait beaucoup d’épreuve pour une journée !

Je mets les bouchées doubles pour descendre au plus vite et atteindre la forêt pour être à l’abri. Je double pas mal de monde en faisant ça. Arrivée dans la forêt, les flocons tombent avec de gros coup de vent. Je suis bien contente d’être abritée.

Je continue la descente dans la forêt, seule. Je croise une âme perdue qui me demande avec désespoir quand nous arriverons à Courmayeur. Euh…. Y’a un petit peu encore !

J’essaye coûte que coûte de garder mon rythme de course, mais la descente est longue, la journée épuisante. J’ai pas sommeil, mais mentalement, je sature. Les 15km de descente commencent à être interminables. Quand je crois être à Oyace, je croise un accompagnant qui me dit qu’il reste 3km. Bam. Prends ça. Je vide mon paquet de dragibus pour compenser ma tristesse. Et je continue sur le bitume. Du bitume en plus. Et qui monte !

J’arrive à Oyace (1350m), mentalement à bout. Il est 20h. Mais tout le monde est là. Et c’est le meilleur remède !

Je me change. J’ai même des chaussette neuves ! Merci Papa Maman. J’ai droit à des massages du dos, des pieds…ça fait chaud au cœur après cette journée de solitude. J’avais pas prévu de faire ça toute seule moi ! Faire cavalier seul n’a pas que des avantages ! Certes on suit son rythme, mais quand t’as un coup de mou, y’a personne pour t’aider ! Et personne pour discuter !

 

 

 

Après cette bonne dose de vie et d’attention, je reprends la route, mon chemin de croix. Il est 21h/22h. Je ne dors pas ici, la dernière base de vie se trouve derrière le col que je m’apprête à franchir, je dormirai là-bas, c’est pas dans longtemps.

J’appelle mon frère dans l’ascension, ça fait toujours du bien. Il avait choisi les créneaux de nuit pour m’accompagner. J’ai pris le message au pied de la lettre.

J’avance encore une fois seule dans la nuit. Mon seul faisceau éclaire la montagne et ses fanions.

Au col Brison (2519m), la neige tient au sol. Y’a pas énorme, même pas 5cm, mais la descente est technique, une glissade ne pardonnerait pas. Donc j’avance prudemment sur les 500 premiers mètres de dénivelé négatif. Cette descente m’amène à Ollomont (1384m), la 6e base de vie. La dernière bordel !!

Dans les deux derniers kilomètres, une douleur bien connue frappe à ma porte. La périostite droite. Non. Pas maintenant quoi ! Je m’énerve un peu toute seule. Mais je décide de l’ignorer. Elle m’avait accompagnée sur les 200derniers kilomètres de la Swiss Peak. Ça blesse pas. Ça fait juste mal. Je ferais avec.

Vendredi 13 septembre.

Portera malheur ou portera bonheur ?

J’arrive à la base de vie vers 1h du matin. Je file dormir directement. C’est le dernier jour de course, je veux être dans de bonnes conditions pour l’affronter. Je dors 2 heures.

Mes parents et Adam m’attendent. C’est en écrivant ce récit de course que je me rends encore plus compte de l’investissement des mes parents, si énorme, si beau. Cinq jours que je baroude. Ils sont là jour comme nuit, à n’importe quelle heure. Là, je leur parle à peine et je file dormir, à 1h du matin. Eux vont m’attendre jusqu’à mon réveil. Parfois, même souvent, assis sur une chaise inconfortable sous une tente où le froid n’a aucun mal à se faire une place. C’est trop beau. Merci.

Le réveil sonne à 3h. Il pique ! J’étais si bien sur mon lit de camp au milieu de centaines d’autres coureurs. Drôle d’ambiance que de passer de seule sur les sentiers à beaucoup de monde sur la base de vie.

 

 

Je rejoins ma team. J’ai la tête bien bien dans le c**. Le regard vraiment vide. J’ai qu’une envie, retourner me coucher. Mais non ! Rappelle toi Manon, c’est le dernier jour. Ce soir, tu dors dans un lit, le nombre d’heure que tu veux. Et y’a une soirée crêpe prévue avec nos familles donc faut pas être en retard.

Je ne mange rien, j’ai pas faim. Je repars ! Toujours pas de douche, il fait trop froid. Puis encore une fois, j’arrive cet après-midi, pas besoin !

 

Septième et dernier tronçon : 52km – 2 300 (totaux 362km – 28 000+)

J’entame cette dernière section enthousiaste, pleine de détermination. Heureuse et envahie, submergée d’émotions positives.

La douleur est là, pas pire, pas mieux. Je l’accepte. Elle ne me freinera pas.

Ah au fait, crampon obligatoire à la sortie de la base de vie. Pour le Col de Malatra. Je les fourre dans mon sac.

Musique en tête, c’est parti pour l’ascension de l’avant dernier col, le col de Champillon (2711m). J’avais chaud au début, puis en sortant de la forêt, j’ai eu la belle surprise de voir qu’il est en fait en train de neiger. Et que les quantités commencent à être là. Tout est blanc dans la nuit noire. Et ça tient.

Je continue de doubler du monde. Au refuge Letey Champillon (2422m), juste avant le col, y’a du monde qui s’agglutine et qui n’a pas l’air d’avoir envie de ressortir de là. En même temps, c’est une petite tempête dehors. Il doit y avoir 10cm au sol. Tes empreintes disparaissent 5min après ton passage. C’est pas des plus accueillant.

 

 

 

 

Je bois et mange beaucoup. Puis repars et passe le col de Champillon (2711m) à l’aube. Je rattrape un trio avant la descente. J’espère réussir à les suivre, c’est plus rassurant dans les conditions actuelles. Mais je me retrouve vite devant en fait. Les deux premiers n’avancent pas dans la neige, et le troisième ne semble pas vouloir faire la trace et préfère que je sois devant. Bon bah allez je me tape tout toute seule finalement. Sous de belles averses de neiges. A l’horizontales. Dans un vallon austère, sombre, ou y’a pas âme qui vive. Bonne ambiance. J’ai plutôt l’impression d’être dans une mission de survie que sur une course.

J’arrive au ravito de Ponteille (1880m). On est chez les chasseurs ici. Ils servent une étrange mixture, une bouillie de viande. Je passe mon tour. Thé chaud et gâteaux. Puis je repars vite, alors que certains ont l’air encore une fois de s’installer ici.

J’emprunte une piste descendante, bien roulante, jusqu’à St Rhemy (1548m). J’en profite pour envoyer un message à ma mère, qu’elle ait bien toutes mes affaires de rechanges car je dois tout changer.

10km pour 350-. Ça court ! Et ça fait du bien de dérouler. En plus, je suis enfin sous le soleil et le ciel bleu. Mon tibia tire mais je m’en fous. J’essaye de garder une foulée la plus naturelle possible. J’suis trop heureuse. J’ai un beau panorama devant moi. J’imagine au loin le Col Malatrà, le dernier.

Vers 8/9h, je retrouve ma troupe à St-Rhemy. Je me change complétement. Je mange une bonne plâtrée de pates. Je prends un peu le temps. C’est la dernière fois qu’on se voit sur la course. La prochaine fois, ce sera sur la ligne d’arrivée. Ça me rend nostalgique, impatiente, surexcitée.

Direction Malatrà (2920m). Le dernier. Et pas des moindre, un bon gros morceau encore.

La montée fait 13km. Très roulant. Je marche à bonne allure.

 

 

A partir de Merdeux (2272m), le nom du lieu est vraiment bien choisi, c’est de nouveau la m****. Le temps change. Bien qu’il était encore et toujours venteux, le soleil le rendait moins désagréable. Mais depuis Merdeux, un gros nuage et une tempête de neige viennent encore s’abattre sur nous. Avec eux, la gadoue, le froid, le gel, les glissades. L’éclate quoi !

Je prends quelques minutes au rifugio Pier Giorgio Frassati (2547m) pour m’équiper mieux. Et charger mes flasques en thé chaud.

J’arrive face au dernier bout de l’ascension. La dernière traversée. De loin, le chemin est bien blanc. Avec le gel et le terrain glissant que j’affronte actuellement, je décide de mettre les crampons. Le chemin est en balcon, la chute ne serait pas drôle. Et ainsi, j’aurai l’esprit tranquille. Je croise pas mal de randonneurs et d’alpinistes dans ce coin. C’est plaisant et ça change un peu ! On sort un peu de notre univers de course comme ça. Je ne pense pas en avoir croisé depuis le premier jour de course.

 

 

Le dernier obstacle est atteint. Malatrà. Il doit être 13h. Ou plus. Ou moins.

La descente est facile, pas dangereuse. J’ai plaisir à courir sur la neige.

Vers 2400m, il n’y a plus de neige. Je garde les crampons pour la boue et privilégie le hors sentier dans l’herbe. C’est patinoire sur le chemin.  Ça ne m’épargnera pas d’une belle glissade. Je râle. Mais le soleil est de retour. Ma joie aussi ! Enfin elle ne m’a jamais quitté, mais elle croît de plus en plus.

Plus que 3 heures. C’est ce que je me dis à Entre-Deux-Sauts (2529m), 15km avant l’arrivée. 5km/h, ça doit bien se tenir. Que de la descente et du plat.

Je ne cours pas trop au début, avant de rejoindre le balcon pour Bertone. Petit cou de mou. Les somnolences. C’est l’heure de la sieste normalement. Mais pas aujourd’hui. Pas là. Pas maintenant. Si proche du but. Impossible. Donc je m’assois 2 minutes dans la pampa. Je mange tout ce qu’il me reste et me mets la musique bien forte dans les oreilles. Et c’est reparti. Je cours, je double, je chante, je danse.

Je descends toute la montée du refuge Bertone en courant. Je manque de tomber 5 fois car je ne lève plus trop les pieds. Y’a des cailloux partout aussi. Je me force à ralentir un peu. Il ne s’agirait pas de s’éclater la tronche à deux kilomètres de l’arrivée.

Juste avant, au ravito du Mont de la Saxe (2037m), j’avais beaucoup bu et mangé, sentant que mon énergie et mes forces commençaient à faiblir. Mais ma langue est douloureuse depuis le matin. A chaque bouchée, ça ma me brûle énormément. Je découvrirai le lendemain qu’elle est fendue en deux. Sympa.

Je sens qu’il faut que j’arrive vite, pour que je puisse me poser. La dette énergétique que je suis en train de créer pourrait me mettre un giga claque. Mais je suis trop heureuse, je continue le chemin à bonne allure, je double. J’ai l’impression d’être encore souple, mais je dois ressembler à un bel hippopotame.

Je vais le faire bordel. Je vais boucler la boucle. Revenir à l’endroit d’où je suis partie il y a plus de 5 jours. Il y a 127h31min. 360km et 25 000+ plus tard. Dans des conditions difficiles. Partis à 2, arrivée seule.

Je ne pensais pas finir dans cet état. Physiquement ça va, musculairement rien ne cloche, mentalement c’est top. C’est un bonheur incommensurable de ressentir ça.

Les trois dernières heures du TOR, les émotions que j’y ai vécues resteront à jamais ancrées, viscéralement, en moi. C’était une fête.

 On est le vendredi 13 septembre 2024. Il est 17h31. Je suis de retour à Courmayeur. Je franchis la ligne d’arrivée du TOR des géants. Je suis une p***** de géante !

 

 

Je voudrais revivre ça des millions de fois.

Le plaisir était partout. A chaque pas, chaque col, chaque vallée. Dans le partage. Dans l’exploit qu’on accomplit. Il est tout le temps là. Qu’est ce que je foutrais là sinon ? Le sentiment d’accomplissement, la fierté…c’est incroyable.

Je retombe sur des photos de 2017. Je m’alignais sur des 10km en trail. Je trouvais ça long. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Merci à tous. Merci Papa, merci Maman pour ce suivi encore une fois incroyable ! Merci Adam, pour ce beau bout d’chemin et pour ta présence ensuite, malgré la giga frustration ! Merci Cécile, Jean-Marc et Colette pour vos apparitions joyeuses ! Merci à tous ceux qui n’étaient pas là mais qui veillaient sur moi. Merci Pépé, merci Flo. Merci à tous. Merci Maxime (#lab2run), pour les belles séances qui mettent bien en jambe !

Je vais quand même dire merci Nicocooo mais je ne sais pas si elle va lire jusque là.

Je vous laisse avec un petit diapo des photos de l’arrivée !

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One response

  1. Magnifique ton récit,j’y étais en 2013 pour l’avoir aussi terminé.
    En te relisant j’ai encore des frissons de cette aventure hors normes. Merci !

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